«Un monde obèse» : le poison de la malbouffe
Alors que l’obésité et les maladies chroniques associées explosent, Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade pointent les ravages de la nourriture industrielle dans une enquête à la fois alarmante et combative, « Un monde obèse » ce mardi à 20h50 sur Arte. Entretien.
Qu’est-ce qui vous a poussés à réaliser ce film ?
Sylvie Gilman : L’Organisation mondiale de la santé a parlé d’épidémie mondiale d’obésité et lancé l’alerte dès 1997. Alors pourquoi, malgré les prises de conscience, les chiffres continuent-ils d’augmenter dans le monde depuis vingt ans ? On stigmatise toujours les individus en les désignant comme coupables de leur surpoids, mais on ne s’interroge jamais sur leur environnement devenu “obésogène”. Un marketing hyperefficace encourage ainsi partout la malbouffe. Tout le monde a peur du coronavirus, mais la peste alimentaire, jusqu’à présent, tue dans des proportions bien plus importantes. À quand une vraie réponse politique ?
Thierry de Lestrade : Nous avons cherché à combattre les idées reçues façonnées par le lobby agroalimentaire et relayées dans les messages de santé publique : il suffirait de manger moins et de faire de l’exercice pour maîtriser ses kilos. Or la croyance selon laquelle le poids résulterait d’un équilibre entre les calories avalées et les calories dépensées est fausse. Le système hormonal, et notamment l’insuline, jouent un rôle clé.
Considérez-vous que les industriels de l’agroalimentaire nous empoisonnent sciemment ?
S. G. : C’est très clairement ce qu’affirment des acteurs de santé publique que nous avons filmés. Les études pointant les effets de la malbouffe sur la santé s’accumulent, et pourtant une industrie comme celle du sucre les ignore et défend ses produits avec les mêmes méthodes que les fabricants de tabac : financement d’autres études scientifiques, discrédit de certains chercheurs, lobbying pour bloquer les réglementations…
T. de L. : Les industriels connaissent les impacts de leurs produits et, au mieux, regardent ailleurs. Ces derniers ont du succès parce qu’ils ont été rendus savoureux, addictifs, pratiques et peu chers. Depuis les années 1980, les dépenses alimentaires des ménages ont suivi une courbe descendante alors que leurs frais de santé n’ont cessé d’augmenter. Ce n’est pas un hasard.
L’exemple du Chili, qui a adopté des logos d’alerte sur les produits dépassant un certain seuil de gras, de sucre, de sel ou de calories, vous incite-t-il à l’optimisme ?
T. de L. : Ce dispositif, au fond, relève du simple droit à l’information sur les produits, et pourrait être appliqué partout. La deuxième étape consistera à s’attaquer au degré de transformation des aliments.
S. G. : L’exemple chilien prouve que les améliorations s’obtiennent sous la contrainte. Considérer l’industrie comme un partenaire responsable prêt à changer ses pratiques, comme en Allemagne, n’a jamais fonctionné. Il faut réglementer, éduquer et revenir à des aliments de base.
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