Tristan Waleckx («Complément d’enquête» sur France 2) : «Des enquêtes qui dépotent sur des sujets passionnants, traités avec audace et intelligence»
Depuis la rentrée de septembre, Tristan Waleckx a repris l’émission «Complément d’enquête», à voir le jeudi en deuxième partie de soirée sur France 2. Rencontre avec le journaliste.
«Complément d’enquête» réalise un très bon début d’année en termes d’audience. Vous avez même battu un record datant de 2011. Comment expliquez-vous le rebond de l’émission ?
Il y a plein de paramètres et on essaie de ne pas trop se focaliser sur les audiences, qui ne sont pas notre premier critère pour évaluer notre émission. Mais lorsqu’on arrive à conjuguer enquêtes de qualité et bonnes audiences, c’est sûr que ça fait hyper plaisir à toute l’équipe. C’est une belle récompense. Il y a peut-être une meilleure lisibilité de notre soirée de l’info du jeudi, avec un «Envoyé spécial» plus news qu’avant, et «Complément d’enquête» davantage axé sur l’investigation au long cours. Le téléspectateur sait ce qu’il vient chercher. Il y a peut-être aussi le fait que nos journalistes ont sorti plusieurs scoops importants depuis le début de l’année, et cette promesse de voir des infos inédites qu’on ne verrait pas ailleurs attire sans doute.
Qu’est-ce qui a changé depuis que vous avez repris le programme ?
Nous avons poursuivi le virage éditorial de «Complément d’enquête» vers plus d’investigation, avec uniquement des longs documentaires de 52 minutes et non plus des courts reportages autour d’une thématique. Mais les fondamentaux restent les mêmes : décrypter, enquêter sur tout et tout le monde, avec une exigence de révélations, sans parti pris ni tabous. C’est ce que j’adore avec cette émission. On est capable une semaine de sortir des infos sur le financement des fake news et de se faire traiter de «suppôts de Big Pharma»… puis de diffuser le jeudi suivant une grosse enquête sur les méthodes de Big Pharma et de certains labos, qui organisent des fausses pénuries de médicaments pour faire monter les prix. On ne s’interdit rien et on bénéficie d’une liberté totale. En novembre, après une enquête très documentée sur Zemmour, nous avons révélé des documents «secret défense» sur une opération secrète de la France en Égypte, qui mettaient en cause le plus haut sommet de l’État, et ça sans aucune pression interne. À l’heure où le service public est régulièrement attaqué sur son prétendu manque d’indépendance, il faut absolument le souligner.
Comment peut-on définir le style Tristan Waleckx ?
Je m’inspire beaucoup du style d’interviews de Benoît Duquesne, le créateur de «Complément d’enquête», qui m’avait recruté il y a dix ans. Les fauteuils rouges sont propices à une conversation détendue sur la forme, ce qui permet d’être absolument intransigeant sur le fond. Comme je suis un journaliste de terrain, et que notre émission défend l’investigation face au journalisme d’opinion, j’aime bien aussi baser mes interviews sur des faits, des chiffres, des documents. Donc on a décidé cette année de faire réagir nos invités sur des éléments précis diffusés sur un écran interactif. Ainsi, quand Patrick Balkany par exemple est venu dans les fauteuils pour discuter police municipale, je m’étais procuré son dossier judiciaire dans lequel il est suspecté d’avoir utilisé des policiers municipaux pour son confort personnel. Et j’ai ainsi pu le confronter à ses propres déclarations, tout en restant ferme, mais poli ! En fait, je mène mes interviews en plateau exactement comme je les menais avant pour réaliser mes documentaires. La méthode reste la même : travailler, travailler, travailler, pour réaliser des interviews sourcées et documentées.
Sur quelle personnalité aimeriez-vous faire une enquête et pourquoi ?
Toutes ! Le principe de «Complément d’enquête» est d’enquêter sur tout et tout le monde, sans parti pris et sans tabous. On s’intéresse ainsi à toutes les sphères de pouvoir, qu’elles soient économiques, médiatiques, politiques, artistiques… Le portrait est un genre que nous apprécions particulièrement à «Complément». Le but est de nous intéresser à des grandes personnalités, sur lesquelles il y a souvent un univers fascinant à raconter mais aussi des zones d’ombre à explorer. Nous avons ainsi déjà enquêté sur de nombreuses sagas familiales, comme les Dassault, les Bolloré, les Lagardère… Et nous avons élargi cette année ces portraits à de grandes institutions ou entreprises, comme cette enquête sur EDF que nous diffusons ce jeudi 27 janvier. Pour les suivantes, je ne peux pas encore vous dire, c’est notre secret industriel !
À l’approche de l’élection présidentielle en France, quel sera le rôle de «Complément d’enquête» ?
Il n’est pas de notre rôle de faire juste du suivi de candidat, ou des coulisses de campagne, mais il n’est pas question non plus de diffuser des enquêtes complètement décalées ou hors sol. Une des marques de fabrique de «Complément» est de faire de l’enquête au long cours tout en restant connecté aux problématiques de l’actualité. Ainsi, nous allons bientôt diffuser plusieurs investigations approfondies en lien avec la présidentielle : l’une sur la manière dont nos données personnelles sont monnayées par des candidats à des fins de ciblages et de marketing, une autre le 3 février sur la manière dont certains artistes s’engagent aux côtés d’hommes politiques en espérant parfois des renvois d’ascenseur à la limite de la légalité… Nous avons aussi lancé plusieurs enquêtes sur des grandes thématiques de campagne comme Schengen ou encore la précarité.
Allez-vous faire partie de la nouvelle émission politique de France 2 «Élysée 2022 : face à France TV» ?
On ne me l’a proposé ! Je suis concentré à fond sur les nombreuses émissions que nous avons à produire. Le rythme hebdomadaire, avec l’exigence de sortir à chaque fois des enquêtes rigoureuses, comportant des informations souvent sensibles, compliquées à recouper, avec des promesses de révélations, demande déjà beaucoup d’énergie…
Aimeriez-vous avoir une case plus importante ou alors une déclinaison digitale pour approfondir encore plus les sujets ?
«Complément d’enquête» est une case en or, une marque exigeante, reconnue, avec une équipe au top. Et surtout, on y bénéficie d’un espace de liberté totale. Je ne peux pas rêver mieux que ce qu’on y fait en ce moment : uniquement des enquêtes qui dépotent sur des sujets passionnants, traités avec audace et intelligence. Concernant les déclinaisons digitales, on essaie de les développer. Nous travaillons souvent avec nos collègues de Franceinfo pour diffuser des enquêtes simultanément sur plusieurs écrans. Cela avait par exemple été le cas avec nos révélations sur les mensonges des pétroliers concernant le réchauffement climatique. Nous avons sorti les infos sur trois supports à la fois («Complément d’enquête», le site franceinfo.fr et la chaîne Franceinfo), ce qui a permis à notre scoop et nos documents inédits d’avoir encore plus de résonance.
Vous réalisez des portraits qui font beaucoup parler depuis quelques semaines, que ce soit avec Mimi Marchand ou Éric Dupond-Moretti. Comment réagissent les personnes concernées ?
Ça dépend ! Comme je vous le disais, on ne fait que des portraits qui ne sont ni à charge ni à décharge… ou plutôt ils sont à la fois à décharge et à charge ! Mais souvent, les personnalités concernées ont du mal à comprendre nos règles du jeu : on ne s’interdit rien, on pose toutes les questions, et on enquête y compris sur les facettes les moins glorieuses. Parfois, certains préfèreraient se contenter d’un spot publicitaire, mais ça n’est pas notre rôle !
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