Sus aux sorcières !
Ont-elles quelque pouvoir ? Si oui, lesquels ? Et pourquoi fascinent-elles tant ? Plongée dans les grimoires et des documents plus récents.
Rumeurs, histoires pour enfants, fictions : maints récits parlent de sorcières. Et tout un chacun a rêvé au moins une fois d’avoir leurs talents. Ne fût-ce que ceux, fantasmés, de Samantha Stephens, alias «Ma sorcière bien-aimée» («Bewitched», en VO «Ensorcelé»), la plus célèbre du petit écran qui, en agitant son nez ou en claquant de doigts, s’éclipse en une milliseconde, fuit les inopportuns ou mieux, les change en créatures ridicules. Tentant, non ? Suivez le balai magique.
Minorités dérangeantes
Les figures my(s)thiques ont toujours hanté l’imagination collective. Vampires, loups-garous, trolls ou zombies incarnent nos peurs sociétales à travers l’Histoire. Les sorcières représentent, elles aussi, la différence, l’inconnu, l’inexpliqué, l’envie d’innover, le désir de revendiquer et d’assumer ses singularités. Comme toutes les figures minoritaires, elles dérangent. Et fascinent. De l’Antiquité au Moyen Âge, en passant par la Renaissance. Pour preuve, le Musée des sorcières et le Mémorial de Salem (État du Massachussetts), qui garde les documents de leur procès, restent l’attraction touristique la plus prisée de la région. Là-bas, de 1692 à 1693, des jeunes filles furent traquées et condamnées. Le motif reste vague, la plupart des historiens n’y voyant là que des personnes dont le mode de vie ne ressemblait pas à celui des quidams de l’époque.
Dangereuses et repoussantes
En fait, leurs seules fautes étaient de bien connaître la nature, les plantes et remèdes, de vivre en retrait, d’être indépendante ou de nourrir des croyances spirituelles inédites. Selon le Dr en philosophie Ayþe Tuzlak (université de Syracuse), spécialiste des rituels du monde antique : «On appelait sorcières les femmes qui, n’ayant pas accès aux prérogatives institutionnelles comme leurs congénères, exprimaient leur spiritualité de manière non approuvée, ou « trop féminine » en regard des normes culturelles d’alors.» On les pensait dangereuses. On les caricaturait en êtres laids et repoussants.
Ennemies ou héroïnes
Les producteurs de fictions se sont emparés de ces personnages bouleversant le quotidien de leurs contemporains pour le meilleur ou le pire, le frisson ou le rire. Dans «Le Magicien d’Oz» (1939), on aperçoit la méchante sorcière de l’Est, au visage anguleux et verdâtre et, dans «Blanche-Neige» (1938), la vilaine belle-mère en grabataire au nez crochu. «D’abord parias sociaux, elles ont longtemps été vues comme l’archétype d’une solitaire âgée et renfrognée, par opposition à la belle femme socialement acceptable, jeune, mariée et fertile», explique l’écrivaine Francine Toon qui a grandi en Écosse, près de Dornoch, cité où eurent lieu, jadis, les dernières mises à mort de «sorcières».
Leur statut évolue !
Mais la modernité passe régulièrement par les studios et le statut des «witches» évolue. Lentement mais sûrement. Dans les années 1960, la série «Ma sorcière bien-aimée» en est un exemple frappant : l’héroïne est séduisante, a de la répartie mais accepte, à la demande de son mari, de ne pas utiliser ses pouvoirs et de vivre comme toute bonne ménagère et mère de famille. Malicieuse, elle ne peut cependant s’empêcher d’avoir recours à ses talents. Notamment pour aider son époux ! Une amusante allégorie des couples de l’époque où les dames montraient des signes d’indépendance.
Conjurer le(s) sort(s)
Il faut attendre les années 80 pour que la culture pop jette enfin un sort au cliché des sorcières rabougries, retravaille leur look et leur style, telle Jadis (la bien nommée !), sorcière blanche (incarnée par Tilda Swinton) du «Monde de Narnia» (2005 à 2010). «Les Sorcières d’Eastwick» (1987) prennent les traits des ravissantes Susan Sarandon, Cher et Michelle Pfeiffer et d’autres ensorceleuses, ceux de Vanessa Paradis dans «Un amour de sorcière» (1997) ou de Nicole Kidman, dans le remake de «Ma sorcière bien aimée» (2005), avec laquelle les messieurs feraient bien un tour en balai. Puis, toute une génération tombe sous le charme d’Hermione Granger, jolie complice d’Harry Potter (2001-2011) tout au long de la saga, campée par Emma Watson, une actrice… féministe. Le petit écran et les plateformes de streaming ne peuvent pas non plus résister aux pouvoirs multiples des héroïnes de «Sabrina l’apprentie sorcière» (1996), «Charmed» (1998) ou de leurs versions respectives réactualisées, «Les Nouvelles Aventures de Sabrina» et «Charmed, 2018» dont les trois actrices sont désormais : latine, métisse et noire.
La chasse continue
Mais qu’en est-il des sorcières modernes dans… la réalité ? Elles sont bel et bien présentes et suivent, à leur tour, l’évolution des mœurs. Là où elles étaient autrefois des symboles du mal, les ensorceleuses sont maintenant des icônes d’autonomisation et de combat, dans le sillage des récents mouvements féministes tels #metoo. Puissantes, elles font hélas toujours l’objet de l’ancestrale «chasse aux sorcières». Surtout celles qui osent désormais pointer du doigt leurs agresseurs mais que l’on soupçonne encore trop souvent d’être des menteuses hystériques. Comme les malheureuses envoyées au bûcher, elles sont encore victimes de misogynie, comme le constatent la philosophe Silvia Federici et l’historienne Anne L. Barstow. Ainsi que Mona Chollet, auteure de «Sorcières – La Puissance invaincue des femmes», qui déclare : «Les maléfiques d’aujourd’hui sont les femmes fortes, insolentes et indépendantes !»
Futuriste et pédagogique
Son livre va être adapté en documentaire avec «une facette résolument pédagogique», dit la productrice Pauline Gygax (Rita Productions) aux Inrockuptibles. Elle ajoute : «La chasse aux sorcières a toujours été une chasse aux filles libres, autonomes, courageuses. Aujourd’hui plus que jamais, les sorcières sont visibles mais fortement rejetées. Il suffit de voir le sort d’une adolescente intelligente de 16 ans qui se permet de dire que la planète est en difficulté !» Et Francine Toon de mettre les choses au point une bonne fois pour toutes dans The Guardian : «En décembre 2018, une utilisatrice de Twitter a imaginé un scénario où les hommes disparaîtraient de la Terre durant 24 heures. Elle a demandé aux femmes ce qu’elles souhaiteraient faire en leur absence : se promener la nuit sans avoir peur. L’une des raisons pour lesquelles les femmes trouvent l’image d’une sorcière si attrayante est sa capacité d’habiter n’importe quel espace sans aucune menace…»
Pourquoi croyons-nous à la magie ?
«Qu’elle soit blanche ou noire, la magie, c’est de l’énergie», affirme l’ex-magicien et psychologue Matthew Hutson («The 7 laws of Magical Thinking»). L’art de la magie offrirait un aperçu fascinant de la psychologie des êtres humains et de leur perception de la réalité : «Elle n’a jamais perdu de son attrait, même dans nos vies modernes dominées par la science et la technologie. Nous sommes toujours captivés par l’expérience de choses qui nous dépassent ou que nous croyons impossibles. Cette réaction universelle viendrait du réflexe de nos ancêtres à explorer tout ce qu’ils ne comprenaient pas. Dès leur plus jeune âge, les nourrissons sont captivés par des faits qui interfèrent avec leur compréhension du monde. Et il en est de même pour les adultes.»
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 29/10/2020
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici