Rita Baga : «Il n’y a pas d’autre façon de combattre un préjugé que d’y être confronté»

Rita Baga © RTBF
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

Ce dimanche à 21h, c’est la grande finale de «Drag Race Belgique» sur Tipik. L’occasion d’en savoir un peu plus sur la culture drag, au-delà des clichés.

Jean-François Guevremont à la ville, Rita Baga dans le monde de la drag. La Québecoise est active depuis 2007 dans le milieu. C’est en 2020 qu’elle participe, comme candidate, à «Canada’s Drag Race». Elle terminera dans le trio de tête.

Si elle est aux commandes de la version belge du concept, c’est parce qu’elle a passé pas mal de temps à Bruxelles. «C’est le seul endroit au monde où je me sens aussi à la maison», explique Rita Baga. «J’y ai mes repères, et la bienveillance des Belges est similaire à celle des Canadiens. C’est une deuxième maison.»

Ça doit faire drôle de présenter une émission à laquelle on a participé en tant que candidate ?

C’est un peu spécial, et c’est aussi l’accomplissement d’un grand rêve. Lorsqu’on m’a proposé de faire l’audition, j’étais déjà très heureuse à l’idée d’animer ce programme que je regarde depuis ses débuts, il y a quinze ans. Je dois dire que je n’avais qu’un tout petit espoir d’être prise parce que je pensais que la production préfèrerait une présentatrice belge. Au final, j’ai été la meilleure… Je ne me suis ni calquée sur ce que Ru Paul faisait, ni Nicky Doll (France 2). Je suis présentatrice mais aussi humoriste au Québec, donc j’ai opté pour la bonne humeur dès le départ. C’est un parti pris. Certains préfèrent quand les animatrices de «Drag Race» sont plus Bitch, ce n’est pas mon cas.

C’est pour ça que votre nom de drag, Rita Baga, est un jeu de mot humoristique ?

Être drag, c’est le merveilleux, mais c’est aussi l’humour. Ce nom me représente bien, effectivement. Je n’aurais pas choisi un truc comme «Lolita la Super Bitch». Ce n’est pas mon style…

Est-ce difficile d’être la patronne des reines ?

Oui et non. Ça peut être difficile si on essaie d’avoir une figure d’autorité. On est toutes issues d’une même communauté, et je pense avoir une espèce de sororité et de conseil. Dans la version de la RTBF, j’ai une figure plutôt maternelle ou de juge plus arbitraire. C’est difficile de départager parfois des candidates parce qu’on s’attache. Au Canada, il est arrivé que j’anime des compétitions de drags, et je me retrouvais avec des amis dans le concours. Par la force des choses, il fallait prendre du recul.

La culture drag francophone est différente des autres ?

Je ne crois pas. L’influence est très américaine du fait que c’est un format US. C’est ce que j’aime dans «Drag Race Belgique», je ne sens pas trop l’influence américaine chez les drags. Les candidats sont très représentatifs de ce que l’on voit dans les cabarets à Bruxelles, à Gand ou ailleurs… Ce qu’on voit dans l’émission, c’est ce qui existe réellement, ici, il n’y a pas de calque sur les États-Unis.

Dans «Drag Race», vous changez de style à chaque numéro…

C’est ce que j’aime… toucher un peu à tout. On reconnaît la signature Rita Baga par le choix de l’assemblage de la robe et de la perruque. En fait, mon style, c’est tout sauf la discrétion. J’aime la flamboyance mais très abouti. Il y a toujours un petit quelque chose de clinquant ou parfois dans la démesure. Ça s’est vu dans chaque épisode… Je me suis beaucoup amusée dans le choix des costumes dans «Drag Race Belgique».

C’est vous qui choisissez vos tenues ?

J’ai toute une équipe, ici, au Québec, qui produit la plupart de mes costumes et j’ai fait des propositions à la production. Je suis partie pour Bruxelles avec une dizaine de valises. On avait très peur parce qu’au moment du tournage, il y avait des grèves dans le secteur aérien. On a été très chanceux ! Les dieux de la drag étaient avec nous.

Passer de Jean-François Guevremont à Rita Baga, il faut combien de temps ?

Pour la télévision, c’est plus long parce qu’en HD, on voit les défauts du maquillage ou de la transformation. Pour «Drag Race», ça prenait au minimum 3 heures. J’avais quelqu’un qui me maquillait, et rien que ça, c’était déjà deux heures. Après, on passait au stylisme… On vend du rêve, donc on doit s’assurer qu’on dégage quelque chose qui fasse réellement rêver.

Il faut absolument être gay pour être une drag ?

Bien sûr que non. L’orientation sexuelle et l’identité du genre n’ont pas d’influence dans le choix de la carrière ou le hobby. Au même titre qu’une personne née femme peut être drag queen aussi. C’est plus fréquent de faire partie de la communauté LGBT, oui. C’est culturel parce que longtemps, la drag a été un symbole politique de résistance. Mais n’importe qui peut en faire. J’en connais à Montréal qui en font en étant hétéro. L’an dernier, dans la saison américaine, il y a eu une drag qui était un homme blanc hétérosexuel. Il y a eu un tollé lorsqu’on l’a annoncé parce que les gens prenaient pour acquis que c’était quelque chose réservé aux queers. Mais non, ce n’est pas nécessaire de l’être. Par contre, c’est nécessaire d’être au courant des enjeux et des combats des communautés, au départ, pour l’avancement des droits des LGBT. Tout le monde peut le faire, après, c’est aussi une histoire de talent.

Vous parlez d’un acte politique, mais c’est surtout un art ?

C’est un peu les deux. Dans les luttes pour les avancées des droits LGBTQIA+, les drag ont souvent été sur le front des batailles. Aujourd’hui, être drag, c’est déjà en soi une prise de position, un doigt d’honneur aux conventions sociales ou de genre. La nouvelle génération semble plus propice à l’oublier, mais les vieilles comme moi ont le devoir de mémoire. Il n’y a pas si longtemps, il était toujours impossible d’exercer ce métier au grand jour. Dans certains pays, ça l’est encore…

«Drag Race» a permis de décloisonner la drag ?

L’impact est énorme. Aux États-Unis, «Drag Race» a démarré sur une petite chaîne et aujourd’hui, c’est un programme phare de MTV, à une heure de grande écoute, le vendredi soir. La société a été transformée par ce programme. On met la lumière sur un art et sur différentes personnes queers et leurs réalités qui sont très différentes. De façon personnelle, en trois ans que «Drag Race» existe au Québec, j’ai vu l’intérêt grandir pour ce genre de format et pour notre art. Les opportunités qu’on nous offre sont plus grand public et moins de niche qu’avant. On voit des drags partout à la télé, au Québec. Il faut saluer, en Belgique, le positionnement de la RTBF de miser sur la diversité. J’ai pas mal d’échos que des curieux et des curieuses viennent voir «Drag Race Belgique». L’impact sera positif aussi. Il n’y a pas d’autre façon de combattre un préjugé ou un stéréotype que d’être confronté à lui.

La version belge doit-elle envier celle des autres pays ?

Je suis persuadée qu’on joue dans la cour des grands avec «Drag Race Belgique». Les retours que j’ai des fans à travers le monde (l’émission est diffusée en même temps sur la plateforme WOW, à travers le monde, NDLR), c’est la même chose. Ce qui fait et le succès, et le niveau de l’émission, ce sont les participantes. En Belgique, elles sont particulièrement attachantes. Quand Athena explique que ses parents ne lui parlent plus depuis 2017, c’est très difficile. Le bénéfice de cette émission sera de susciter des discussions.

Une 2e saison est à l’étude ?

On en discute, c’est certain… Mais, on attend encore un peu avant de concrétiser la chose, mais il y a de l’espoir que ça fonctionne.

Vous avez vécu à Bruxelles. Niveau culinaire, vous préférez le poutine ou la frite-fricadelle-andalouse ?

J’ai mes adresses de restaurants et de boulangeries à Bruxelles. Et je préfère la frite belge, sans hésitation. Je ne suis pas la plus grande fan des poutines. Je sais que je vais me faire lyncher ici…

Interview : Pierre Bertinchamps

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici