Révolution des Œillets au Portugal : les fleurs du bien

Œuvre ambitieuse, la série «Le Domaine» met en lumière un pan de l’histoire souvent méconnue du Portugal © Arte
Alice Kriescher Journaliste

Jeudi à 20h50 Arte propose une saga familiale plongeant au cœur de l’histoire portugaise : «Le Domaine».

Initialement réalisée sous la forme d’un long métrage, «Le Domaine», du réalisateur Tiago Guedes, a donné lieu à une minisérie. Composée de trois épisodes d’environ une heure, cette fiction est la première production portugaise diffusée sur Arte. L’occasion de découvrir une œuvre ambitieuse, présentée à la Mostra de Venise et au Festival du Film de Toronto, mais aussi d’en apprendre plus sur l’histoire du Portugal.

Interminable dictature

L’intrigue du «Domaine» débute en 1973 et met en scène João Fernandes, propriétaire d’un immense domaine agricole. Le gouvernement portugais, dans la tourmente, a besoin de tous les ralliements. Le ministre de l’Intérieur se rend au domaine de João, qui est aussi le beau-fils d’un général renommé, pour lui demander de s’engager. Celui-ci refuse.

La fiction rejoint donc la réalité historique puisqu’en 1973, le gouvernement portugais était effectivement en mauvaise posture. Une situation défavorable qui trouve ses racines des décennies plus tôt, le 28 mai 1926 très exactement, date du coup d’État qui mit fin à l’expérience républicaine pour laisser place à la dictature. Dans un pays encore très affecté par les conséquences économiques de la Première Guerre mondiale, c’est presque naturellement que le nouveau ministre de l’Économie nommé en 1928, António de Oliveira Salazar, prend la tête du pays quatre plus tard, en étant nommé Président du Conseil. C’est le début de plus de quarante ans d’autoritarisme.

Si, en 1968, une attaque cérébrale écarte définitivement Salazar du pouvoir, le régime salazariste ne disparaît pas pour autant. En 1970, le dictateur décède. Ses idéaux lui survivront encore quatre ans, jusqu’à un certain mois d’avril.

Fleur au fusil

Au début de l’année 1974, la situation devient intenable. Le peuple rejette massivement le pouvoir qui est bâti sur la terreur et le corps militaire est épuisé par la guerre coloniale menée en Afrique, depuis 1961, qui fera 8.000 morts et 20.000 blessés. La convergence des contestations va être accélérée par la sortie d’un livre, «Le Portugal et l’avenir», signé par le vice-chef des armées, António de Spínola. Ce dernier y prône la démocratisation du pays et amorce l’autonomisation des colonies portugaises. Le peuple comprend que les principaux officiers militaires commencent à tourner le dos au régime en place.

Parallèlement, des officiers subalternes créent la MFA, le Mouvement des forces armées, où certains appellent déjà au coup d’État. En mars, Francisco da Costa Gomes, le chef des armées, et Spinola démissionnent. Le 16 mars, un groupe d’officiers tentent un premier coup qui échoue. Le second sera le bon. Dans la nuit du 24 au 25 avril 1974, la diffusion sur les ondes d’une chanson de Zeca Afonso, «Grandôla, Vila Morena», interdite par le pouvoir, lance «l’opération démocratie» menée par les jeunes officiers.

«Malgré les appels sur les ondes d’un commandant du Mouvement des forces armées, exhortant les gens à rester chez eux, la foule descendit dans les rues de la capitale», détaille Bruno Veran dans l’Humanité. «Pour montrer que la «rébellion des capitaines» ne se faisait pas contre le peuple, les soldats ornèrent d’œillets rouges les canons de leurs fusils.»

En quelques heures, la révolution des Œillets fait plier le régime dictatorial. Le Premier ministre Marcel Caetano est contraint de prendre le chemin de l’exil, direction Madère. Le tout sans que la MFA ne tire le moindre coup de fusil.

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 4/6/2020

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