[Que sont-ils devenus ?] Roger Laboureur : «Je ne suis plus le foot, à part les Diables Rouges» (interview)

[Que sont-ils devenus ?] Roger Laboureur : «Je ne suis plus le foot, à part les Diables Rouges» (interview)
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

En 1995, Roger Laboureur (80 ans) était poussé vers la sortie de la RTBF. Pour Télépro, il revient sur son parcours et il donne un regard avisé sur le foot à la télé, en 2015.

Entré en 1962, le journaliste sportif détient un record : il a couvert huit Coupes du Monde durant toute sa carrière. La première en 1966, en Angleterre, et la dernière en 1994, en Italie.

«C’est quand j’ai quitté la RTBF, que les Diables ont commencé à moins bien jouer !», sourit-il.

Heureusement, c’est une période révolue…

Comment êtes-vous devenu commentateur sportif ?

Depuis que je sais parler, je ne pensais qu’à ça. (Rires) C’était évidemment le temps de la radio, à l’époque. Elle me passionnait, et à l’âge de 10 ans, je me faisais des commentaires. Et il n’y avait pas encore les petits enregistreurs comme aujourd’hui. D’ailleurs, si j’avais eu ça… quelle affaire ! Dans ma chambre, j’imitais Luc Varenne avec comme micro, une boîte de conserve… J’avais une admiration sans bornes pour lui.

Vous avez fait des études spécifiques ?

Non, je suis régent littéraire. J’ai donné cours à Gembloux et à l’athénée d’Andenne (sa ville d’origine, NDLR). À partir de 1962, j’ai cumulé les deux postes (enseignement + radio et télé), mais au fil des années, j’ai diminué mes fonctions dans l’enseignement pour ne garder que la télé. Avant ça, je travaillais un peu sur Radio Namur, le dimanche (l’ancêtre de VivaCité Namur, à l’INR, NDLR) pour deux fois rien. J’étais à peine payé, mais j’étais content parce que j’avais un micro devant moi et je réalisais mon rêve !

Et la télé ?

Je suis allé me présenter à Marc Jeuniaux, qui était à l’époque le patron des sports. C’est un coup de bol incroyable, parce que je n’avais pas de rendez-vous. Je suis arrivé à la Place Flagey, j’ai demandé où était son bureau et j’ai frappé à la porte… Je lui ai expliqué mon parcours de fan de radio et de télé et je lui ai demandé s’il n’avait pas besoin de quelqu’un. Il m’a dit : «Revenez lundi, c’est « Lundi Sports » et après l’émission, vous ferez une présentation, face caméra, en interne.» C’était l’équivalent de «La Tribune» d’aujourd’hui, sur La Deux, mais en moins développé et avec beaucoup moins de moyens. L’émission ne durait qu’une demi-heure.

Vous avez toujours travaillé dans le domaine du sport ?

Oui, que ce soit en radio ou en télé. Pourtant, je ne suis pas un obsédé de sport. J’aurais très bien pu faire autre chose. Moi, ce que je voulais, c’était faire de la télé. J’ai tout de suite intégré la rédaction des sports, et la semaine suivante, je commençais.

D’où est venue cette envie de télé ?

La télé avait pris le dessus sur la radio. Dès que la télé est arrivée en 1953, avec l’INR, j’ai voulu y être. Je crois que c’est une passion qui est en moi. Mais je garde aussi une affection pour la radio. Je ne l’ai pas snobée.

Vous avez été formé pour faire de la télé ?

Non, à l’époque, il n’y avait pas vraiment d’école. Je suis arrivé devant une caméra, sans filet. Mais, j’ai toujours eu ce tempérament de fonceur. Quand j’étais jeune, je faisais un peu n’importe quoi, du moment qu’il y avait un micro. J’ai même fait des «crochets» étant gamin. J’allais chanter sur des podiums lors de fêtes de village.

Dans les années 80, votre popularité a décuplé. Comment l’avez-vous vécu ?

Je ne suis pas Johnny Hallyday ! Je vais être honnête. Ceux qui disent que la popularité ne les intéressent pas, qu’ils fassent un autre métier. Je ne sais pas pourquoi, c’est spécialement moi qui ai marqué un peu plus les gens. On m’a dit que c’était ma façon d’être et mon charisme. Ce qui est étonnant, c’est que j’ai quitté la RTBF il y a 20 ans, et encore maintenant, où que j’aille, on m’arrête et on me parle de cette époque !

C’était l’âge d’or ?

Nous n’avions aucun mérite. À l’époque, on ne captait pas grand-chose donc nous étions les meilleurs parce qu’il n’y avait que nous dans ce domaine, avec peut-être les chaînes françaises. Parfois, on m’arrête en me disant «Merci, vous nous avez fait rêver !». Je réponds que j’ai fait mon métier tout simplement.

Le foot, c’était une passion aussi ?

J’ai un peu joué, ici, à Andenne. Et lorsque j’ai habité à Bruxelles, j’ai joué dans une «équipe du samedi». C’est un statut reconnu par l’Union Belge, avec des amateurs qui n’ont pas trop le temps de jouer à cause de leurs occupations professionnelles.

Vous étiez bon ?

Moyen… (Rires) Pas tout-à-fait mauvais, mais surement pas un bon !

Quand vous êtes parti en 1995, une chaîne concurrente ne vous a pas courtisé ?

Non. D’autant qu’à l’époque, RTL ne produisait pas autant de programmes sur le sport comme aujourd’hui. La concurrence était assez limitée. Et puis, je suis toujours catalogué «RTBF», même si on m’a un peu mis dehors, cinq ans avant la date de ma prise officielle de pension. J’ai dû arrêter à 60 ans au lieu de 65 ans. C’était une obligation, à ce moment-là…

Sur ces 33 ans de métier, quel événement ressort ?

C’est évidemment la Coupe du Monde à Mexico, en 1986. C’était une magnifique Coupe du Monde. Les Diables étaient très bons. Et quand le spectacle est bon, et bien les commentateurs sont bons aussi. Quand c’est mauvais, on sombre avec eux… Il y avait un gros décalage horaire, et sur place, on apprenait que les gens veillaient la nuit pour regarder les matches, même devant des écrans géants. C’était une période formidable ! Et ça continue encore aujourd’hui ! On revient avec le fameux «Goal, goal, goal !» du penalty de Van der Elst. Ça m’énerve un peu, mais je ne peux pas en vouloir aux gens. Surtout qu’on m’aborde toujours très gentiment…

Quand la population est derrière son équipe nationale, ça vous aide aussi ?

Bien sûr. Nous sommes stimulés aussi. C’est aussi une question de tempérament. Je suis quelqu’un d’extraverti. Il y a des commentateurs qui savent garder leur calme. Ils ont sans doute raison. Pour ce fameux but, j’étais debout sur mon banc, dans la salle de presse. Les confrères me regardaient avec l’air de dire : «Il devient fou !». Je suis enthousiaste par nature et ça s’est traduit dans le commentaire.

Justement, on a l’impression que vous avez donné un ton aux commentaires de la RTBF ?

Je ne sais pas. Je n’oserais pas dire que j’ai amené quelque chose. Si je l’ai fait, c’était sans aucun but, ni objectif. Je me suis juste laissé aller. Vous savez, le football, ce n’est toujours que du football ! Il faut de temps en temps agrémenter la retransmission avec un peu d’humour et de petites choses «à côté». C’est toujours comme ça que j’ai fonctionné.

Vous travailliez essentiellement le week-end. Votre épouse le prenait bien ?

Oui, et c’est toujours la même 50 ans après ! Côté boulot, on s’y habitue. Ce n’était pas un travail de forçat non plus. Aller voir un match de foot et rentrer chez soi, il n’y avait rien d’exceptionnel.

Et le pire moment ?

La catastrophe du Heysel. C’est un moment noir pour moi. J’étais là «en touriste», comme on dit dans le métier, c’est-à-dire à côté d’Arsène Vaillant qui commentait le match. J’étais bien placé pour voir la rencontre, sans travailler. Les choses ont mal tourné, et finalement, on a fait la retransmission à deux. Ce n’était plus du football ! Je faisais les allers-retours pour savoir ce qui se passait. Je me souviens avoir dû demander aux autorités le nombre de morts qu’il y avait. C’était effroyable.

Vous n’avez pas eu envie d’arrêter après ce drame ?

Non, c’est un drame isolé. Ce n’est pas comme ça chaque semaine dans les stades, mais j’en ai rêvé après. Par contre, Arsène a été marqué plus que moi. Il m’avait confié que le football s’était arrêté pour lui, ce jour-là.

Quel regard portez-vous sur la télévision en 2015 ?

Aujourd’hui, les commentateurs ont tous un consultant. J’aurais aimé que la pratique se fasse aussi à mon époque, mais il y avait un mouvement dans la rédaction qui ne voulait en entendre parler. La formule s’est finalement imposée juste à la fin de ma carrière. Pour moi, c’est très important du moment que le consultant reste dans son rôle. Il ne doit pas envahir le micro, en parlant tout le temps. Il apporte un petit plus, par petites touches. L’autre évolution, ce sont les moyens techniques. Je me souviens avoir commenté la finale de la Coupe du Monde, en 1966, à Wembley, et on a toujours un doute sur un but, alors que maintenant, on a une vision sur tous les angles, et le doute n’est plus possible.

Vous êtes pour l’utilisation de la vidéo dans l’arbitrage des matches ?

Et bien non ! Je ne suis pas convaincu non plus. Je trouve que ça va retarder les matches considérablement. On va tout arrêter tout le temps pour vérifier s’il y a eu but ou pas, hors-jeu, etc… Il y a un arbitre qui est là, s’il se trompe tant pis ! Je ne suis pas chaud à l’idée de mettre des caméras dans le but. C’est du chipotage pour pas grand-chose. En football, le doute est plus rare qu’en tennis. Je ne suis pas partisan, mais il faudrait voir si la plus-value est réelle…

Vous suivez encore le foot ?

Non, j’ai arrêté tout. Je suis encore les matches des Diables Rouges. Honnêtement, je regarde ces rencontres-là, parce que je sais que le lendemain d’un match, on va me demander ce que j’en ai pensé. Je le fais un peu forcé… Je préfère regarder les résumés ou «La Tribune», mais tout un match, je suis lassé.

Entretien : Pierre Bertinchamps

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