[Que sont-ils devenus ?] Frédérique Ries : «Je n’ai jamais digéré mon licenciement de RTL-TVI» (interview)

[Que sont-ils devenus ?] Frédérique Ries : «Je n'ai jamais digéré mon licenciement de RTL-TVI» (interview)
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

D’abord speakerine puis journaliste la plus regardée de Belgique, Frédérique Ries a quitté la télé pour le Parlement européen. Elle ne regrette rien et offre quelques confidences sur son parcours à Télépro !

Après avoir présenté les programmes sur RTL Télévision, à Luxembourg, Frédérique Ries fait partie de l’aventure RTL-TVI, à Bruxelles, dès 1987, et intègre la rédaction du JT.

En 1998, elle quitte RTL avec un certain fracas. Plusieurs propositions lui ont été faites que ce soit à la RTBF ou ailleurs. «J’ai eu la chance d’avoir été pendant quinze ans, une demi-heure par jour, dans le salon des gens. Ce qui a facilité grandement les choses», raconte-t-elle.

Aujourd’hui en politique, Frédérique Ries le revendique : elle garde son indépendance et sa liberté dans le travail parlementaire, malgré son appartenance au Mouvement Réformateur (MR).

Comment avez-vous démarré le métier d’animatrice ?

Ma première antenne date du 15 juin 1984, mais j’étais déjà à la Villa Louvigny, depuis le début du mois de mai. J’ai étudié les sciences économiques et le journalisme à l’ULg. Je souhaitais faire de la presse, et j’ai fait deux ou trois chiens écrasés dans La Meuse (Sudpresse). Ça ne m’a pas plu. C’était aussi la grande époque des radios libres, et j’y ai trouvé un job sur FM 56, la station leader sur Liège, où je vendais de l’espace pub. J’avais créé le sponsoring du créneau horaire («L’heure vous est offerte par…»), et il n’y avait personne pour lire le texte. J’ai pris le micro, et c’est là que j’ai mis le pied à l’étrier. J’ai très vite fait la matinale avec Pierre Bail. Ensuite, Philippe Luthers m’a appelé pour travailler sur la fréquence liégeoise de la RTBF.

Et à RTL ?

J’ai envoyé une lettre à Luxembourg, où je demandais à Jacques Navadic s’il n’y avait pas une place de libre dans la rédaction. Il m’a fait venir, au début de l’année 1984, mais il m’a précisé que la rédaction était complète et que de toute façon, ce n’était pas de son ressort d’engager des journalistes. Il m’a proposé un test d’antenne, mais pour faire de l’animation durant l’été. Cette école-là m’a permis de tout faire pendant trois ans, dans toutes les cases et dans tous les domaines.

Vous avez des regrets d’être passée par là ?

Aucun. Pourtant, combien de fois ne me l’a-t-on pas l’a lancé à la figure ?! Des personnes, aujourd’hui encore, admirent cette période où j’étais speakerine. À la RTBF, Françoise Van De Moortele est aussi passée par cette case-là avant de faire le JT. Et je trouve qu’après avoir travaillé dans ces conditions, c’est-à-dire avoir mis la main à tout, sans filet, on peut tout faire !

Votre arrivée au JT a été bien accueillie ?

C’était une catastrophe ! Il y a presque eu une manifestation dans la rédaction… Il y avait deux journalistes qui étaient partis en croisade contre l’idée d’avoir une ex-speakerine dans la rédaction. Même si j’avais passé de nouveaux tests pour intégrer la rédaction. Au-delà de ça, il y avait aussi un certain rejet des personnes de RTL qui venaient de Luxembourg. Les préjugés étaient immenses et il y avait du corporatisme, même si j’avais un diplôme de journaliste. Par la suite, les choses se sont apaisées.

C’est une des raisons de votre départ en 1998 ?

C’est un conflit sur le fond, pas avec des personnes. J’avais entamé un débat sur le contenu du journal, car j’étais aussi cheffe d’édition, et donc co-responsable du contenu. Tout en sachant que RTL a toujours été – et reste – une télé de proximité, pour moi, il devait y avoir aussi une certaine qualité dans cette proximité. À un moment donné, je rentrais le soir, j’avais vraiment l’impression d’avoir fait sur la demi-heure surtout du compte-rendu de la commission Dutroux, des faits divers et, juste pour faire bien, une demi-page sur l’international. J’ai voulu lancer ce débat sur la ligne du journal, et au bout de neuf mois, plutôt que d’en discuter réellement, on a préféré se séparer du contenant plutôt que du contenu…

On ne vous a pas proposé un autre poste ?

Si, la présentation de «Docs de choc» ! Il y avait un côté ironique… Je vous avoue que la rupture n’a jamais été vraiment digérée. Sur mon C4, on a indiqué «restructuration». À part moi, personne n’a été mis dehors. J’espère qu’un jour quelqu’un me dira qui et pourquoi… Ce serait juste pour la forme, la page est tournée.

La RTBF ne vous a pas contactée ?

Il y a eu une dizaine de propositions après mon départ de RTL. Notamment dans l’édition et une proposition de la RTBF pour présenter le Concours Reine Elisabeth. Mais ce n’était que quelques jours sur une année. Peut-être qu’il y aurait eu plus, si affinité… Puis est venue celle de faire de la politique. La proposition émanait du MR. Je n’ai pas fait la démarche de me présenter à eux.

Pourquoi avoir accepté ?

Ce n’était pas en période de campagne électorale, puisque nous étions en septembre 1998. J’ai mis du temps à réfléchir, et au bout de dix jours, j’ai d’abord dit «oui», et puis je me suis ravisée. On a beau connaître les matières en tant que journaliste, mais en traversant le miroir, on se retrouvait dans un rôle très différent. J’appréhendais cette partie que je ne connaissais pas. J’ai dit «non» jusqu’en décembre. Après consultation familiale, j’ai accepté. Mais, il n’était pas encore question que je me présente sur une liste.

C’était directement pour siéger à l’Europe ?

Oui et non. L’idée de départ était que je devienne sénatrice, puisque c’est une circonscription large qui englobe tout le sud du pays. Il faut être honnête aussi, dans ce genre de transfert, la notoriété joue un certain rôle. Mais je n’étais pas Belge (ndlr : son papa est Luxembourgeois). C’est donc vers l’Europe que je me suis tournée. Et dès le départ, c’est ce qui me correspondait le mieux. Même si aujourd’hui, j’ai la nationalité belge, je suis profondément Européenne. J’ai un peu le même raisonnement que Daniel Cohn-Bendit. Je voudrais ne pas être Belge ou Luxembourgeoise, mais être Européenne.

L’Europe semble très loin des préoccupations des citoyens. Ça tranche un peu avec la proximité de RTL…

C’est vrai et je le sens tout le temps. Une de mes obsessions, c’est de démontrer que la Commission, le Parlement et les Institutions européennes ne vivent pas dans des bulles, même si parfois, elles le font de manière inconsciente. À côté de mon rôle législatif, ce que je préfère faire, c’est la visite des lieux à des groupes. On me dit parfois que je suis le «guide de luxe» du Parlement. Mais j’essaie d’impliquer les gens et de leur expliquer, avec des mots simples, ce que représentent l’Europe et ses institutions. Je leur parle beaucoup. Je ne sors pas de la télé pour rien. (rires) Le danger d’être mal connu, c’est la méfiance et le rejet. Il faut inverser ça.

À l’Europe, vous avez une plus grande indépendance. C’est ce qui vous a plu aussi ?

Oui. J’ai rejoint le parti en 1999, et jusqu’en 2006 (ndlr : moment où Frédérique Ries est devenue conseillère communale à Bruxelles-Ville), je n’avais pas la carte du parti. J’étais une sorte d’élément ajouté – clairement dans la ligne du parti – qui gardait une certaine liberté. À l’Europe, il n’y a pas de majorité de position, ce sont des majorités mouvantes, à chercher sur chacun des dossiers sur lequel on travaille. Il n’y a pas de fracture d’office entre la majorité et l’opposition, on travaille avec tout le monde. Je suis perçue comme une personne de consensus mais je reste libérale.

On ne vous a jamais proposé de devenir ministre ?

J’ai été secrétaire d’Etat aux Affaires européennes et aux Affaires étrangères en 2004. J’en ai apprécié chaque secondes, mais ce n’est pas pour ça que je fais de la politique. La réalité de la Belgique fait qu’il faut avoir un sacré goût du pouvoir pour exercer cette fonction. J’ai gardé ma vision de journaliste tout en étant «dedans», et je trouve qu’on passe peut-être trop de temps à se quereller sur des choses qui ne sont pas l’objet de ce que l’on a autour de la table. Mais c’est la complexité des institutions de notre pays qui veut cela. J’ai souhaité retourner au Parlement européen. Lors des dernières négociations pour former un gouvernement, j’aurais pu faire partie du casting, mais ce n’était pas ma préférence.

On vous a reconnu au Parlement ?

Oui, mais pas spécialement des députés belges, français ou luxembourgeois. Beaucoup de parlementaires regardent les journaux belges parce qu’ils vivent trois semaines à Bruxelles, et ils m’y avaient vu. Par contre, le groupe de jeunes que je viens de rencontrer la visite n’a pas la moindre idée de qui je suis, j’ai fait mon dernier JT en 1998. Ils n’étaient pas tous nés ! C’est ma quatrième élection et la notoriété s’émousse. D’un autre côté, des personnes plus âgées qui me rencontrent me disent : «Tiens, ce n’est pas encore votre semaine au JT de RTL !»

Votre notoriété vous sert en politique ?

Ce serait faux de dire non. Mais je mets un bémol. Il y a des réflexions qui ne sont pas toujours bienveillantes. Elles viennent aussi bien de l’intérieur du parti que de l’extérieur. Le transfert du journalisme vers la politique suscite pas mal de questionnements. Et après l’élection, on est attendu au tournant. C’est le même vécu que les «fils de…». Il y a la facilité du nom, mais après, il faut trimer pour prouver ce que l’on vaut et ce que l’on est.

Si ça ne devait plus marcher en politique, vous reviendriez à la télé ?

(Longue réflexion) Je reconnais que j’y pense parfois… Je reste quelqu’un de la communication même dans mon parcours politique. La télé : why not ?, sur un projet de qualité à la fois d’information et de contenu où je ferais profiter de mon expérience. Mais refaire ce que j’ai fait : jamais !

Vous regardez la télé ?

Avec le regard de celle qui l’a fabriquée. Et je m’énerve tout le temps… Je suis critique, mais aussi dans un sens positif, je réagis aussi sur un chouette reportage bien fait.

Elle vous manque ?

Ce sont essentiellement des gens de la télé qui me manquent, et le travail d’équipe. Ma tête à la télé ne me manque pas, sinon, je n’aurais pas fait les choix que j’ai faits. J’y ai vécu des moments fantastiques, comme le Télévie où je suis allée à la rencontre des gens. J’ai vécu la première greffe de Bichon, que j’ai suivi pendant cinq ans. C’est plutôt dans ce sens-là que la télé me manque.

Entretien : Pierre Bertinchamps

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