Profession : sage-homme

«Grâce à cette plongée réaliste dans l’univers des sagesfemmes, j’ai beaucoup appris et mûri», affirme Melvin Boomer, à l’affiche de «Sage-Homme» aux côtés de Karin Viard © Warner Bros. France

Si les femmes occupent de plus en plus d’emplois jusque-là dits «masculins», il n’en va pas de même en sens inverse…

Selon une récente enquête belge sur les forces du travail (EFT), parmi les métiers dits féminins (sages-femmes, esthéticiennes, secrétaires médicales, gardes d’enfants, aides à domicile), le pourcentage de femmes reste supérieur à 95 % en Belgique. Aussi, comment leurs collègues masculins le vivent-ils ?

Alors que des études montrent, partout dans le monde, que nombre de métiers «d’hommes» vont disparaître, les tâches étant effectuées par des robots, les professions jusqu’ici attribuées aux femmes et où celles-ci sont surreprésentées vont davantage se déployer. Mais selon le New York Times et Madame Figaro: «La gent masculine ne semble pas encore prête à négocier ce virage professionnel et à investir ces milieux qui recrutent.» Le décalage entre les «pink collar jobs» (cols roses, métiers dits féminins), les «blue collar jobs» ou «white collar jobs» (cols bleus ou blancs, métiers a priori plus masculins) subsiste…

Idées toutes faites

Serait-ce en grande partie à cause des préjugés ? Apparemment, oui, comme l’illustre le film de Jennifer Devoldère, «Sage-Homme», qui sort cette semaine et relate les aventures d’un jeune candidat en médecine, Léopold, obligé de bifurquer vers un stage en maternité. D’abord dépassé par ce milieu rose pastel, il est finalement séduit par un métier où la mixité a tout à gagner. Ce récit aussi drôle qu’émouvant pose une réelle question de société. Et d’avenir.

Karin Viard, alias Nathalie qui supervise les balbutiements du stagiaire, se dit touchée par le scénario : «Ce qui m’a plu, c’est cet archétype du gamin de banlieue qui a grandi dans un milieu très masculin et se retrouve projeté dans un univers ultra féminin. J’ai été intéressée par la confrontation de ces deux mondes et ce que cela raconte sur l’incapacité de ce garçon à accepter ce milieu étranger. Et puis, j’ai trouvé formidable cet échange entre mon personnage et le jeune homme : elle transmet son savoir-faire à un garçon inexpérimenté, tandis qu’il doit se battre contre des idées toutes faites, une pudeur masculine liée à son milieu où on ne parle jamais du corps, de la sexualité et du mystère qu’incarne la femme pour un homme !»

Peu de reconnaissance

Dans la peau de cet apprenti déboussolé, Melvin Boomer (surtout connu, jusqu’ici, pour avoir interprété JoeyStarr dans la série «Le Monde de demain» sur la genèse de NTM) a lui aussi été bouleversé par le thème : «L’écriture déjoue les clichés. J’ai été séduit par sa dimension féministe. J’ai suivi une formation dans un service d’urgence maternité avec Marie-Jo Boyer, la doyenne des sages-femmes du service qui m’a pris sous son aile. J’ai assisté à deux accouchements : le premier s’est bien passé, le second a été très difficile. Le bébé a fait une détresse respiratoire, mais tout s’est bien terminé. C’est très éprouvant, j’ai été submergé par l’émotion, j’ai pleuré !» L’acteur a mis du temps à s’en remettre : «Cela m’a permis de vivre les émotions que procurent ce métier : une plongée réaliste dans l’univers des sages-femmes. J’ai beaucoup appris et mûri. Ma mère travaille dans le secteur de la petite enfance, donc j’étais sensibilisé au sujet. Ça me tenait à cœur de rendre hommage à toutes ces femmes qui travaillent pour nous dans l’ombre… Avec trop peu de reconnaissance !»

Les c… sur la table

D’autres fictions ont déjà approché la question de l’homme soudain projeté dans un domaine auquel il ne croyait jamais faire face : «Attendez que maman revienne !» (1983) où Paul Michael Glaser doit prendre soin seul de sa petite famille, «Trois hommes et un couffin» (1985) et son remake américain «Three Men and a Baby» (1987), ou «Un flic à la maternelle» (1990) qui confronte le très viril Schwarzenegger à une classe très dissipée. Mais si tout se passe bien à l’écran, la ségrégation genrée en est tout juste à son prologue dans la société. En cause, notamment, les stéréotypes de l’éducation et des jeux. Aurélia Blanc, journaliste et auteure française, a confié dans le podcast «Les Couilles sur la table» : «À travers le jouet, on apprend à l’enfant ce qu’il a le droit de faire ou pas. Quand on empêche un petit garçon, par exemple, de jouer à la poupée – ce qui est encore très courant aujourd’hui -, on lui indique très durablement que ce qui relève du féminin, c’est nul, ce n’est pas pour lui, c’est méprisable.» Pas étonnant qu’à l’orée de la vie active, les choix de métiers soient encore freinés. Historiquement, les femmes ont investi les secteurs dits masculins avec plus d’aisance, selon le sociologue Andrew Cherlin. La tâche s’avère plus difficile pour les messieurs, même si s’engager en terre presque inconnue leur amène de quoi nourrir ego et motivation.

Masculinité fragilisée

«À l’intérieur même de l’espace professionnel féminin, les hommes bénéficieraient de stéréotypes sexués favorables à leur reconnaissance : l’autorité, l’expertise ou la rationalité – qualités socialement construites comme masculines – leur sont aisément attribuées par leurs collègues, leurs chefs, leurs clients», analyse Éric Burgraff dans Le Soir, en 2014. «Dans la foulée, les hommes se débarrassent volontiers des attributs féminins de ces métiers – échappant ainsi à la stigmatisation – pour en revendiquer les dimensions plus masculines. Sur le terrain, le secrétaire devient tout d’un coup assistant de direction, l’infirmier se voit souvent attribuer le titre de «docteur». (…) Si les hommes tirent de nombreux avantages, ils n’en sont pas moins – aux yeux de l’opinion publique – fragilisés dans leur masculinité.» En 2021, la situation n’a guère changé en Belgique où de nombreux métiers restent l’apanage des dames : sages-femmes (99 %), gardes d’enfants (95,5 %), éducateurs petite enfance (93,2 %), aides-soignants à domicile (92,2 %), secrétaires d’administration (85,70 %), instituteurs en primaire (83,6 % – source : statbel.fgov.be).

Rassurer chacun

Pourtant, la révolution est en marche. Lentement – mais sûrement ? En 2014, France 3 Régions a réussi à trouver quelques témoins, presque des phénomènes dans leur genre. Comme Jean-Michel Dudouit, père de famille et «assistante maternelle» avec près de dix ans d’expérience, à domicile. Cet ex-grossiste en fruits et légumes a pris un congé parental à la naissance de sa fille et, mû par un désir de s’améliorer, suivi une formation pour s’occuper des tout-petits : «Je me suis alors dit que si je pouvais m’occuper de mes enfants, je pourrais aussi le faire avec ceux des autres !» Les débuts n’ont pas été aisés face à la surprise et aux préjugés des gens : «Le mot « assistant paternel » n’existe pas ! Pour rassurer les parents désireux de faire garder leurs bébés, je prenais un premier contact en les invitant chez moi, le mercredi, afin qu’ils puissent voir ma propre famille et soient rassurés !» Une maman ravie de ses services affirme : «Mon entourage a été surpris, mais en constatant que tout se passait bien, c’est entré dans les mentalités !»

Émerveillement quotidien

Autre homme étonnant : Matthieu Piriou, sage-femme (ou accoucheur, mot proposé par l’OMS) dans une polyclinique. Il dit avoir su dès l’adolescence que ce serait son métier. Sorti major de sa promotion, Matthieu est, selon son épouse, «très rassurant quand il parle des bébés et ça apaise les patientes». Mais les clichés subsistent çà et là. Lorsque le sage-femme entre en salle d’accouchement, beaucoup lui disent «Bonjour Docteur !», persuadés de voir un gynécologue. Il faut dire qu’en France, les messieurs n’ont été acceptés en formation de maïeutique qu’en 1982. L’intéressé explique : «Il y a une méconnaissance du public. (…) Mais je ne pense pas qu’on fasse ce métier-là par défaut, c’est une passion ! Tout comme les études qui durent cinq ans. J’aime la physiologie, l’embryologie, le fait que deux petites cellules deviennent un bébé. J’ai cet émerveillement-là quasi tous les jours !»

Cet article est paru dans le Télépro du 23/03/2023

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