Philippe Lambillon : «Tant que j’ai la banane, je continue !» (interview)

Philippe Lambillon : «Tant que j'ai la banane, je continue !» (interview)
Julien Vandevenne
Julien Vandevenne Rédacteur en chef adjoint

«Les Carnets du Bourlingueur» (La Une) seront de retour le samedi 13 juin à 20h20 pour leur 25e saison ! Avec en bonus, une nouvelle collection de bande dessinée.

Depuis 1991, «Les Carnets du Bourlingueur» ont succédé aux «Sentiers du Monde». L’objectif était toujours de faire découvrir les autres faces du monde aux téléspectateurs au travers de documentaires.

À l’époque, on prédisait 7 ou 8 ans de vie au programme. Cet été, «Les Carnets» fêteront leur 333e émission ! «Je continue parce que les gens sont fidèles encore après 25 ans, c’est assez rare !», explique Philippe Lambillon. «Je faisais 20% de parts de marché il y a 25 ans, et je suis toujours à 20% aujourd’hui, alors que la concurrence n’a cessé d’augmenter.»

25 saisons de bourlingue à travers la planète, c’est 6.000 conseils, 30 chemises blanches, 10 chapeaux et 7 paires de chaussures… Et malgré ses 62 ans, Lambillon n’est pas près de raccrocher !

En 25 ans, est-ce que les choses ont changé pour un «Bourlingueur» ?

C’est paradoxal, mais le monde est plus cloisonné. Il y a 25 ans, je partais de Namur en stop. Aujourd’hui, je suis déjà arrêté dans la plupart des pays de l’ex-bloc de l’Est. Je ne vais plus nulle part sans devoir montrer patte blanche.

Le monde est connecté aussi, l’Afrique n’est plus un désert technologique…

L’Afrique reste le dernier continent où on peut encore vivre l’aventure, parce que certains régimes «bananiers» y sont pour beaucoup. Même sur une période de 15 jours de tournage, il peut y avoir un changement de président. Mon fonds de commerce reste l’Afrique même si le terrain diminue d’année en année…C’est un continent qui fait toujours peur pour diverses raisons. J’ai toujours été aux antipodes de tout ça, j’ai toujours voulu dépeindre un individu qui magouille, qui se débrouille, qui survit… mais j’ai de plus en plus de difficultés à tourner parce que l’Afrique est plus dangereuse aujourd’hui, qu’avant. Mes plus belles expériences en tant que voyageur, sont sur le continent africain. Les gens vivent dans un état de survie, pourtant c’est l’endroit du monde où on est le mieux accueilli. On m’offre à manger dans tous les villages que je traverse. Je n’ai connu ça nulle part ailleurs. C’est aussi le dernier endroit du monde où on peut faire des découvertes tous azimuts.

Les émissions de découvertes se sont multipliées. Avez-vous rencontré des collègues lors de tournages ?

Deux ou trois fois, je me suis retrouvé au même endroit que Nicolas Hulot pour «Ushuaïa». C’est là qu’on se rend compte des différences dans la production. Si nous, nous sommes 3 personnes pour tout faire, les moyens de TF1 sont décuplés avec une centaine de personnes et des camions de production qui débarquent. Ce n’étaient pas les mêmes budgets ! J’ai rencontré aussi Antoine de Maximy («J’irai dormir chez vous», France 5), qui avait fait sa première télé aux «Sentiers du monde». C’était quelqu’un d’assez timide, et quand je le vois aller frapper aujourd’hui à toutes les portes partout dans le monde, je trouve ça génial. C’est une des dernières émissions du genre avec les «Carnets» en 2015. Très peu de chaînes osent encore mettre du reportage en prime time.

Et une émission comme «Rendez-vous en terre inconnue» ?

Non, ni comme présentateur, ni comme invité. Les people m’énervent un peu. Je ne crois pas que j’aurais supporté une personnalité parisienne dans ce genre d’exercice. Déjà, l’équipe, c’est limite ! Mais ce n’est pas par animosité envers l’équipe : je suis associal en tournage, c’est connu. Je suis tellement pris par ce que je fais… On part parfois un mois à trois dans la brousse, et comme un vieux couple, à la longue les disputes arrivent pour pas grand-chose. Il est déjà arrivé qu’on se fasse tous la tête dans l’avion du retour. Dans ces conditions, je me vois mal rassurer un acteur ou un chanteur… En tant qu’invité, je n’aime pas être pris en charge et qu’on me fasse vivre une aventure scénarisée.

Comme Nicolas Hulot, vous n’avez jamais été approché par un parti ?

J’ai toujours refusé les propositions de ce type que ce soit pour aller en politique ou pour travailler sur une autre chaîne.

Vous reportages sont parfois très durs. Avez-vous carte blanche de la part de la RTBF ?

Cette liberté totale-là, je ne l’aurais que sur la RTBF. J’ai carte blanche sur le choix des sujets des «Carnets» et des documentaires depuis 25 ans. Je visionne par an entre 800 et 1.100 films pour en choisir 250, et n’en garder que 30 pour la diffusion dans l’émission (qui sont retravaillés en format de 13 minutes, NDLR). Pour les sélectionner, je m’en tiens à mon ressenti personnel.

Il y a des pays où vous n’êtes pas le bienvenu ?

C’est surtout à cause des documents que je diffuse plutôt que les «Carnets» en eux-mêmes. Certaines ambassades pensent que c’est moi qui les réalise. Je n’ai jamais été interdit nulle part, mais je ne demande jamais d’autorisation non plus pour ce que je vais faire dans le pays, sinon, je serais très encadré et on me ferait montrer ce qu’ils ont envie qu’on voit.

Pourquoi ne jamais avoir fait de «Carnets» en Europe ?

On a fait une série sur l’extrême nord et les Lapons. Sinon, je pourrais faire un tournage à «Pairi Daiza» !(Rires). Ils ont vraiment fait des efforts pour rendre le milieu proche de la réalité. Plus sérieusement, c’était un de mes préceptes de départ, j’ai dit que je ne tournerai pas en Europe.

Après 6.000 conseils, il y a encore des choses à raconter ?

C’est inépuisable ! Je me suis toujours inspiré de ce que je voyais ou de la pharmacopée. Là, on pourrait développer des milliers de conseils, parce que les anciens ont toujours une façon de guérir les maladies, tout simplement parce que l’Afrique ne connaît pas les antibiotiques. La plupart des plantes servent à soigner des tas de choses, c’est génial pour les «Carnets». Par exemple, on va voir que pour se soigner les pieds, les gens se servent d’une papaye comme chaussure, pour cautériser. Le fruit fait office de désinfectant. Je m’inspire de tout ça…

Et ça marche ?

Les personnes qui n’ont rien sont obligées de trouver des alternatives pour survivre. Quelque part, je leur fais une confiance absolue même si tous les trucs ne sont pas fiables à 100 %

À bientôt 63 ans, vous n’avez pas envie de souffler ?

Je suis engagé encore pour quelques années. Il y a des projets en cours, et la bande dessinée où j’ai signé pour six ans. L’âge n’est pas une barrière. Je ne m’en rends pas compte. J’entreprends des choses aujourd’hui que j’entreprenais déjà il y a 40 ans. Physiquement, je suis plus fatigué, c’est vrai, mais tant que j’ai la banane et l’envie, je continuerais encore 20 ans !

Vous pensez à un successeur ?

J’ai pris mes précautions. J’ai déposé tout le concept…(Rires) Et je pense qu’après tant d’années, lorsque le public s’attache à un personnage, c’est difficile pour une autre personne de le reprendre. Une autre chaîne pourrait adapter «Les Carnets», mais sur la RTBF, je n’imagine pas ce scénario. Mais il ne pourrait pas se faire sans mon consentement.

Parlez-nous de la bande dessinée…

Il y a cinq ans, nous en avions sorti une qui collait un peu trop à l’émission. Celle-ci va permettre de toucher un public qui ne regarde peut-être pas «Les Carnets du Bourlingueur». On va pouvoir proposer des aventures qui ont lieu dans d’autres pays et sur tous les continents, avec des thématiques comme les fleuves, pour le premier numéro. Tintin a son compagnon Milou, moi j’ai le petit singe «Shu». Quand j’étais en Equateur, j’avais toujours un singe avec moi, ça vient de là. Il m’accompagnera partout dans le monde et sera toujours caché sous mon chapeau… Shu sera un véritable élément de la fiction.

Entretien : Pierre Bertinchamps

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