Philippe Bouvard : «J’aurais bien fait un an de plus, mais ça aurait pu être l’année de trop» (interview)

Philippe Bouvard : «J'aurais bien fait un an de plus, mais ça aurait pu être l'année de trop» (interview)

Après trente-sept ans de Grosses Têtes sur RTL, Philippe Bouvard raccroche ! Ce vendredi 27 juin à 20.45, France 2 lui réserve une grande soirée, riche en émotions et en surprises. À cette occasion, il revient sur ces années de fous rires.

Que verra-t-on dans cette émission ?

L’émission va se dérouler sur la scène des Folies-Bergère. Il y a tout de même 1.500 places ! C’est une vraie salle de spectacle, on va donc offrir un vrai spectacle. Le problème, c’est de visualiser une aventure radiophonique. Heureusement, il y a beaucoup d’images. Certaines où l’on voit Michel Drucker inviter les Grosses Têtes de la radio pour leur faire faire un essai de mise en images. C’est lui qui a eu l’idée. Il y a tous ces sketches que nous avons faits sur TF1, des images de galas, d’anniversaires, lors de la 100e, de la 1.000e, de la 10.000e, avec des invités d’honneur nombreux et prestigieux. Si l’on additionne les panelistes, les sociétaires et les invités d’honneur, ce sont pas moins de trente-deux invités ! Je m’attends à un tas de surprises. Je ne sais pas tout, on me cache certaines choses…

Qu’est-ce que l’image a changé dans votre manière de concevoir l’émission ?

Lorsque les Grosses Têtes sont apparues à la télévision, et notamment sur TF1 – où elles ont réuni, pendant près de cinq ans, entre 8 et 13,5 millions de téléspectateurs, et souvent en prime time le samedi –, il s’agissait d’une déclinaison très libre de l’émission de radio. Si l’on gardait le fil rouge pseudo-culturel des questions, tout le reste était différent. Chaque émission exigeait l’écriture de seize sketches ou chansons. Ce sont d’ailleurs certains de ces sketches – qui sont d’un comique très surprenant, d’un burlesque qu’on n’avait jamais vu avant et qu’on ne devait pas revoir ensuite – qu’on verra sur France 2.

Vous diriez que le passage à la télévision vous a offert une plus grande liberté ?

C’était l’opportunité d’aller plus loin dans le comique puisqu’il devenait visuel. Il y a des sketches très étonnants. Par exemple, Stéphane Bern en reine d’Angleterre, Sim massé par Francis Perrin, le même Bern en boxeur complètement sonné… J’en ai revu une bonne partie pour préparer l’émission du 27 juin. Ils m’ont encore fait rire, et m’ont surpris ! Nous avons retrouvé d’autres images qui n’avaient jamais été diffusées. Les galas n’avaient plus rien à voir avec l’émission de radio, mais ils mettaient toujours en scène ses principaux protagonistes. Je me souviens, en particulier, de cette séquence incroyable de l’enterrement de Philippe Castelli – qui a été longtemps un de nos grands comiques et dont je disais que «c’était un comique mou, et que j’aimais bien les comiques mous parce qu’on pouvait leur donner la forme qu’on souhaitait» (rires). Voilà donc Castelli, soi-disant défunt, installé dans un Caddie de supermarché avec une bougie aux quatre coins. Il est poussé sur la scène par Sim, déguisé en veuve, le tout sur fond de grandes orgues et commenté par Léon Zitrone, dont la devise était : «Mourez, je ferai le reste».

Comment garder le contrôle dans cette apparence de désordre ?

À la radio, nous avons eu des instants extrêmement fous. Notamment lorsque fonctionnait le prodigieux attelage que formaient Jean Yanne et Jacques Martin. Je me souviens d’une émission – qui à l’époque durait une heure trente, contre deux heures actuellement – où je n’ai pu poser qu’une seule question ! Les deux compères n’ont pas cessé de me couper la parole (rires). Il faut garder une certaine maîtrise puisqu’on est payé pour ça. Mais quand le public vient pour voir, de temps à autre, les fauves manger le dompteur, ça fait partie du programme.

On parle de «l’humour Bouvard». Comment fonctionne-t-il ?

Pour employer un vieux mot – mais je n’en trouve pas de meilleur –, je dirais que c’est un humour «potache». J’entends par là que c’est l’humour – et pas toujours du meilleur goût, j’en conviens – qu’on pouvait avoir entre 15 et 18 ans, quand on ne prenait pas grand-chose au sérieux. C’est le goût de certains jeux de mots, c’est un certain amour de la plaisanterie gauloise. Avant d’être français, nous avons été gaulois. Je ne pense pas trahir notre culture, simplement, c’est un peu insister sur les trois premières lettres.

Les Grosses Têtes sont aussi capables de traits d’esprit…

On essaie. Dans la formule actuelle, des gens comme Jacques Mailhot, Philippe Chevallier, Bernard Mabille ont de véritables traits d’esprit, d’un esprit qu’on ne retrouve plus beaucoup et, en tout cas, pas toujours chez les comiques de scène.

Ces chroniqueurs qui vous ont accompagné pendant de longues années, vous avez aidé à les faire connaître du grand public. Quelles relations avez-vous établies ?

Au cours de ces trente-sept ans, il a dû en passer une centaine. Longtemps, il n’y a pas eu de panelistes, mais des sociétaires – qui n’étaient pas choisis, comme aujourd’hui, parmi des chansonniers ou des humoristes pour traiter à chaud l’actualité, mais parmi des comiques ou des gens plus sérieux avec l’envie de rire. Ils étaient acteurs de théâtre ou de cinéma, écrivains – souvent des académiciens français, d’ailleurs – et tout le monde jouait sa partie. À l’époque, les questions culturelles étaient très nombreuses.

Est-ce dû à un manque d’intérêt pour ces questions aujourd’hui ?

Non, non, c’est une évolution. On ne fait pas une aussi longue route sans négocier quelques virages (rires).

Vous indiquez avoir fait évoluer la formule Grosses Têtes, était-ce pour répondre à une évolution de votre public ?

Il s’est rajeuni, de nombreux jeunes nous écoutent maintenant, ce dont je suis très satisfait. Il est devenu plus à l’écoute de l’actualité, peut-être parce que cette actualité est «chaude», pour ne pas dire brûlante, souvent burlesque, et que nous la traitons régulièrement maintenant. Et le fait d’avoir une équipe talentueuse et régulière a tissé des liens entre les auditeurs et ceux que j’appelle «mes chers complices». Ils les ont adoptés. C’est un grand sujet de satisfaction pour moi de voir que Bernard Mabille est parmi nous depuis un peu plus de dix ans maintenant, et qu’il est devenu, grâce à un énorme talent, une des principales vedettes françaises, celle qui remplit le plus les salles. C’est très gratifiant pour moi de l’avoir vu monter en puissance.

À partir de quand avez-vous senti que le public venait VOUS écouter ?

La radio est un média familier et, surtout, un média de fidélité. On zappe beaucoup sur la télé. À l’inverse, quand les gens sont sur une station de radio, ils y meurent. Tout cela crée des liens très forts avec les gens. Ces liens se manifestent par des courriers – encore plus depuis qu’on sait que je vais faire une autre émission à la rentrée sur RTL –, par des rencontres quotidiennes dans la rue, dans les transports publics… Il y a vraiment une famille Grosses Têtes.

Être l’émission radio la plus écoutée de France, c’est un moteur ?

Je vais vous dire, c’est la grosse tête ! J’ai eu la grosse tête (rires). Mais ça l’est encore aujourd’hui, même si les audiences ont été un peu grignotées. J’aurais bien fait un an de plus, mais ça aurait pu être l’année de trop…

En trente-sept années de Grosses Têtes, n’avez-vous jamais eu envie de changer d’air ?

Non, parce que je n’ai rien fait jusqu’à l’âge de 21 ans, mais vraiment rien ! Et, peut-être en vertu de la loi des compensations, depuis 21 ans, je suis aux travaux forcés. Mais à des travaux forcés que j’aime ! J’y vais parce que c’est ma vie, et c’est mon plaisir, avant d’être celui des autres. J’ai fait mon travail et je continue honnêtement, passionnément. Je vais bientôt avoir 85 ans (le 6 décembre prochain, Ndlr), je continue et je continuerai tant qu’on voudra bien de moi.

Que retenez-vous de cette aventure radiophonique ?

Ce sont des rencontres, avec des gens célèbres, parfois avec des inconnus à la veille de le devenir ; des rencontres avec des spécialistes de sujets de société. Je déplore que, dans d’autres émissions, on ne mélange pas autant la culture – mais pas la culture rébarbative, qui faisait dire à Jean Yanne : «Quand j’entends le mot « culture », je ferme mon transistor» – souriante, anecdotique et le rire, qui reste notre vocation.

Que regrettez-vous ?

Mon regret, mon grand chagrin, c’est d’avoir vu disparaître des «grosses têtes» fabuleuses, comme Jean Yanne, Jacques Martin, Léon Zitrone, Sim – Sim est un personnage que nous avons révélé : quand je l’ai invité pour la première fois, il était ce qu’on appelait «un comique visuel», c’est-à-dire qu’il ne parlait pas. Et puis, finalement, on s’est aperçus qu’il avait beaucoup de choses à dire et qu’il les disait très drôlement. Voyez-vous, si je suis fier de quelque chose, c’est de voir la réussite de ceux qui m’ont entouré. Ils auraient été reconnus de toute façon, mais je pense leur avoir fait gagner quelques années.

Entretien : Sébastien Pouey

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