« Peter Pan » : exode sans retour
Pendant la guerre froide, des milliers d’enfants cubains ont été séparés de leurs parents et envoyés aux États-Unis.
Elle porte un nom de conte de fées, pourtant l’Opération Peter Pan (ou « Pedro Pan ») n’a rien d’un film de Disney. Samedi à 20h35, « Retour aux sources » revient sur l’exfiltration de 14.000 enfants cubains vers les États-Unis et donne la parole à ces victimes collatérales de la guerre froide.
Le 8 janvier 1959, Fidel Castro, commandant en chef de la révolution cubaine, entre en héros à La Havane. Le « Lider Maximo » libère l’île de la dictature militaire instaurée par Fulgencio Batista. Dès lors, Washington n’a de cesse de détruire ce chantre du communisme qui menace ses intérêts. Au-delà des opérations militaires et des coups portés à l’économie de l’île, les États-Unis se lancent dans une entreprise de déstabilisation.
Dans ce climat délétère, un bruit court, relayé par l’Église catholique : les enfants cubains seront bientôt arrachés à leurs parents pour être éduqués par l’État. La rumeur de la « nationalisation » des enfants fait le tour de l’île et la panique s’installe. Pour les sauver du péril communiste, de nombreuses familles font un choix douloureux : les envoyer aux États-Unis.
Réseau clandestin
Elles se tournent vers un réseau clandestin, géré par deux Américains : le révérend Walsh, un jeune prêtre irlandais basé à Miami, et James Baker, directeur de la Ruston Academy, une école catholique à La Havane fréquentée par la bourgeoisie cubaine. L’opération Peter Pan (Pedro Pan) est lancée. Elle doit son nom au premier enfant sorti de Cuba, Pedro, et à la Pan Am, la compagnie aérienne la plus souvent utilisée pour ce pont aérien entre les États-Unis et l’île communiste. En deux ans, plus de 14.000 enfants (de 6 à 18 ans) sont ainsi exfiltrés de Cuba.
À leur arrivée en Floride sans aucun effet personnel, les enfants « Pedro Pan » sont conduits dans des camps gérés par le révérend Walsh ou des orphelinats tenus par des religieuses, dans l’attente d’une famille d’accueil. À terme, ils seront éparpillés dans plus de trente États américains, jusqu’en Alaska. « Ce n’était pas un camp de vacances, où nous nous amusions », témoigne l’un d’eux dans le reportage. « Les enfants pleuraient la nuit, nous sentions beaucoup d’anxiété dans l’air, nous n’avions aucune idée du futur ni de ce qui allait nous arriver. Et nous ne savions pas si nos parents allaient pouvoir quitter le pays. »
Crise des missiles
En 1962, la crise des missiles éclate et met le monde au bord de l’affrontement nucléaire. Cuba se retrouve au centre d’un face-à-face dangereux entre les deux superpuissances. Les Soviétiques acceptent de retirer leurs missiles du sol cubain en échange de l’engagement des Américains à ne pas envahir le pays. John Kennedy décrète l’embargo total et les frontières se referment comme un piège sur les enfants. Toutes les liaisons aériennes et maritimes entre Cuba et les États-Unis étant arrêtées, l’opération Peter Pan se retrouve suspendue, empêchant les regroupements familiaux. Certains enfants cubains devront attendre 1978 et le rétablissement des liaisons pour retrouver leurs parents, quand d’autres ne reverront jamais les leurs !
Aujourd’hui, ces milliers de Cubains, qui ont construit leur vie sur le sol américain, se reconnaissent comme les pions d’une guerre froide sans état d’âme. Et, depuis 1991, le Pedro Pan Group, une organisation nationale caritative regroupant plus de 6.000 enfants expatriés, rappelle aux jeunes générations l’histoire de leur exode – le plus important de l’hémisphère ouest –, résultat d’une manipulation américaine.
Cet article est paru dans le Télépro du 26/9/2024
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