Patrick Cohen, le démystificateur
Les fake news scientifiques ne datent pas d’hier ! Dimanche dans «Mystifications» à 20h55 sur France 5, le journaliste Patrick Cohen enquête sur quatre grandes controverses scientifiques passées.
Ces mystifications ont mis en danger la santé publique ou jeté un doute sur la science et la médecine. Et ce, bien avant l’arrivée des réseaux sociaux et des chaînes d’info en continu.
Patrick Cohen, l’idée du documentaire «Mystifications» a-t-elle germé pendant la crise du covid ?
On m’avait d’abord proposé de réaliser un documentaire autour des grandes fake news de l’actualité récente. Á partir de la réflexion que j’ai eue pendant le covid, j’ai suggéré de resserrer le propos sur des mystifications scientifiques ou médicales. Avec le réalisateur, Dimitri Queffelec, nous avons choisi quatre histoires de natures différentes qui ont donné lieu à un type d’emballement différent.
En 1985, trois médecins français pensent avoir trouvé le remède contre le sida : la ciclosporine. On connaît la suite…
Les archives sont sidérantes. L’angoisse du sida est telle que cette annonce va provoquer une frénésie mondiale. Toutes les règles éthiques sont balayées, on ne teste rien auprès des malades faute de temps. Philippe Even, l’un de ces trois médecins, a accepté de témoigner et assume sa démarche.
Cinquante ans auparavant, un certain Trofim Lyssenko affirme pourvoir mettre un terme à la famine en URSS en reniant la génétique et en modifiant le caractère des céréales…
Ce qui est complètement fou dans cette histoire, c’est de constater que par idéologie ou fidélité politique, des scientifiques se sont laissé embarquer dans cette foutaise. En France aussi. Pendant la crise du covid, je me souviens très bien avoir lu sur un blog scientifique que l’on assistait à la plus grande offensive antiscience depuis l’affaire Lyssenko. C’est là que je suis tombé sur la tribune de Louis Aragon dans la revue Europe. Par aveuglement à l’égard du communisme, Aragon écrit qu’il n’est pas biologiste, mais soutient Lyssenko. Et là évidemment, on repense aux prises de positions complètement déraisonnables des profanes pendant le covid.
Autre scientifique épinglé, l’immunologiste français Jacques Benveniste qui, en 1988, assure que l’eau a une mémoire…
Là, l’enjeu est économique et industriel. Si on arrive à prouver que l’eau a une mémoire, cela valide scientifiquement l’homéopathie. Même si elle n’a pas rencontré un retentissement public considérable, cette affaire est intéressante car elle permet d’analyser la posture d’un scientifique respecté qui n’arrive pas à admettre la contradiction de ses propres thèses.
Enfin, vous vous en prenez à Claude Allègre, géophysicien et ministre de Lionel Jospin, qui, dans les années 1990, nie le réchauffement climatique…
Dans ce cas aussi, on peut faire le rapprochement avec la crise du covid et le comportement d’un Didier Raoult. On montre une archive où Allègre proclame qu’il est un grand scientifique, que ses détracteurs ne lui arrivent pas à la cheville et qu’il détient donc la vérité. Il a fait beaucoup de mal même si je pense qu’aujourd’hui, avec l’avènement de l’info en continu, Claude Allègre aurait pu provoquer plus de dégâts encore.
Votre documentaire dénonce aussi le comportement des médias…
Les médias, aujourd’hui comme hier, sont tentés de faire primer la controverse sur la recherche de la vérité. Prenez le covid sur lequel le consensus scientifique est extrêmement large. Mais médiatiquement, il est toujours intéressant de valoriser les dissidents pour donner l’impression que la communauté scientifique est divisée.
Au lendemain de la diffusion de «Mystifications», on vous retrouvera dans «C à vous». Pas de lassitude après douze saisons ?
Aucune. L’émission a beaucoup évolué depuis 2011 et mon rôle a lui aussi beaucoup évolué.
Cet article est paru dans le Télépro du 31/8/2023
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