Noureev : l’effronté magnifique !
Arrogant, désobéissant, exigeant, colérique, les qualificatifs manquent pour décrire le tempérament du danseur et chorégraphe russe. Pas plus que pour décrire son talent et sa vie romanesque. Un documentaire lui est consacré ce vendredi soir sur France 4.
Rétrospectivement, Rudolf Noureev (1938- 1993) semble être né pour la danse et des ballets aussi victorieux que tragiques, tels «L’Oiseau de feu» ou «L’Après-midi d’un faune». Certains titres auraient aussi pu décrire ses débuts : «Le Sacre du Printemps». Et sa fin amère, celle d’un enfant enfermé dans un corps d’adulte souffreteux : «Le Jeune homme et la Mort»…
Comme un thriller
Noureev, né en 1938 dans une famille pauvre de Bachkirie, ne sait rien du 6e art jusqu’à un soir où sa mère lui offre un ticket pour voir «Le Chant des cigognes». C’est le coup de foudre. Mais Rudolf est déjà «âgé» pour une formation professionnelle. Le premier miracle – car sa vie en est truffée ! – viendra du maître Alexandre Pouchkine, dont la pédagogie libre mais sévère l’affinera jusqu’au Kirov (actuel théâtre Mariinsky). L’artiste y brille par sa surdouance et son insubordination, affronte profs, élèves et même le KGB qui veut le recruter dans les Jeunesses communistes ! Ce défaut va pourtant contribuer à son destin.
En 1961, lors d’une tournée à Paris et Londres, le danseur est suivi par les autorités russes. Il goûte toutefois aux joies de la Ville lumière et se fait des relations dans la troupe de l’Opéra de Paris. Le KGB veut alors le punir en le renvoyant au pays ! Son amie Clara Saint et le chorégraphe Pierre Lacotte le secourent. Lacotte dira plus tard à France 2 : «Rudolf avait trouvé chez moi un coupe-papier en argent, il l’a brandi en disant : « Si on ne fait pas quelque chose, je me tue ! »» Clara s’informe auprès des douaniers. Pierre glisse au fugitif : «Va vers ce policier et dit : « I want to be free ». C’était un tel coup de chance, on avait l’impression qu’un scénario avait été étudié afin que ça marche !» Noureev bondit vers la liberté.
Vol de haricots verts
Autorisé à vivre de sa passion, le phénomène est bientôt une légende. Sans jamais se départir de son impétuosité. Élu directeur artistique du ballet de l’Opéra de Paris, il le dépoussière, met les interprètes en valeur avec des prouesses techniques en réadaptant «Le Lac des cygnes», «Cendrillon»… En répétition, le voilà aussi exigeant envers la troupe qu’envers luimême ! «Les insultes volaient quand des danseurs faisaient quelque chose qui n’était pas digne de leur talent», raconte l’étoile Ghislaine Thesmar. «Son thermos ou ses haricots verts volaient dans le studio !», ajoute l’étoile Charles Jude. Celui-ci sera témoin des souffrances de Noureev dans les ultimes années. Atteint du sida, l’artiste veut revoir sa mère en Russie. La diplomatie française organise un voyage. Mais la maman de Rudolf, à l’article de la mort, ne le reconnaît pas… Il la rejoindra en 1993, laissant une trace indélébile et des aphorismes à son image : «Ne pas compter son temps et ne jamais s’économiser.»
Cet article est paru dans le Télépro du 29/12/2022.
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