Nadine Trintignant : «Marie, ma fille, tes rêves brisés…»

«Entre elle et moi, notre relation était amorale», confie la cinéaste de 87 ans © Arte/Collection C/Etienne George
Nicole Real Journaliste

Dix-huit ans après sa mort, un portrait poignant, tendrement orchestré par sa mère, dévoile la formidable comédienne et l’être éperdument attachant que fut Marie Trintignant jusqu’à ses 41 ans.

1er août 2003. Marie Trintignant, 41 ans, succombe sous les coups de son compagnon Bertrand Cantat, chanteur du groupe de rock Noir Désir.

Mercredi à 22h45, Arte consacre une soirée à la mémoire de l’actrice avec le film de Claude Chabrol «Une affaire de femmes», suivi d’un portrait émouvant et tendre réalisé par sa maman, la cinéaste Nadine Trintignant (87 ans). Rencontre.

Pourquoi avoir voulu réaliser ce documentaire ?

Depuis le décès de Marie, je n’avais jamais pu revoir un de ses films en entier. Ignorant si je tiendrais le coup jusqu’au bout en la revoyant pour ce film, je m’y suis engagée juste pour une semaine. Puis le travail avec une assistante m’a aidée à me concentrer uniquement sur le doc. C’était plutôt la nuit que j’angoissais…

Toutes ces archives vous ont-elles bouleversée ?

Non car, pour moi, Marie est toujours présente. Je déteste l’expression «faire son deuil». Je n’ai jamais fait le deuil d’aucune personne décédée que j’aimais. Je pense à eux à travers mes souvenirs, certains m’émeuvent, d’autres me font sourire. Mais Marie est toujours en moi. J’ai accepté et appris à vivre avec des blessures à vif qui ne guériront jamais.

Comment avez-vous choisi les extraits ?

J’ai d’abord visionné tous les films. J’ignorais que les extraits coûtaient très cher. À l’époque où j’étais monteuse, nous avions une liberté totale sur les images et les musiques. Pour respecter le budget, nous avons dû nous limiter à 2 minutes par film. Dommage, car nous avons renoncé à pas mal de matériel intéressant.

Avez-vous utilisé vos archives personnelles ?

Des photos, oui. À la maison, je n’ai jamais filmé Marie. Pour moi, tourner, c’était mon travail. Réaliser des films de vacances, ce n’était pas mon truc.

Quelle enfant était Marie ?

Petite, elle s’exprimait peu. Même quand des personnalités venaient à la maison, elle restait dans sa chambre pour ne pas devoir faire la conversation. C’était curieux car, tout d’un coup, vers ses 16 ans, elle s’est mise à parler sans arrêt. Elle avait aussi beaucoup d’humour, surtout de l’humour noir. Plus tard, elle m’a impressionnée par sa force de caractère.

Comment avez-vous réagi à son envie d’être actrice ?

J’avais peur qu’elle ne soit pas heureuse dans ce métier. Je l’ai mise en garde en lui exposant les inconvénients de ce job, parfois très ingrat. C’était une jeune fille très active et je ne la voyais pas attendre des heures que le téléphone sonne. Contrairement à moi, son père l’a vivement encouragée à suivre son envie.

Quelle relation entreteniez-vous avec votre elle ?

Si, avec mon fils, je suis très complice, avec Marie, j’étais intime. Une personne immorale agit mal consciemment. Alors qu’une personne amorale ignore que son comportement est répréhensible. Marie et moi étions amorales.

Quelle archive de ce film vous a le plus émue ?

La scène de «Betty» où Marie pleure m’a toujours bouleversée. J’avais dit à Claude Chabrol que j’étais jalouse de lui car j’aurais aimé réaliser ce film.

Militez-vous toujours pour la cause des femmes battues ?

Oui. C’est très fatigant, donc j’interviens de façon ponctuelle. Mon fils Vincent m’a demandé d’arrêter de mêler Marie à ce combat. Mais, pour aider la société à évoluer, je suis convaincue qu’il est important de mettre sa petite notoriété au service des causes qui nous tiennent à cœur. 

Cet article est paru dans le Télépro du 20/1/2022

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