LN24 : «Nous visons les mêmes parts de marché que BFM TV en France !

Emmanuel Tourpe et Stéphane Rosenblatt © LN24
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

C’est la rentrée pour la chaîne info qui vit un tournant de son existence, mais qui ne cache pas non plus ses nouvelles ambitions.

C’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour LN24, sous l’égide de son nouvel actionnaire, le groupe IPM (La Libre, La DH, L’Avenir,…). Pour sa 4e rentrée, la chaîne tout info revoit sa ligne et ses plans pour viser un plus grand public. Rencontre avec Emmanuel Tourpe, directeur général, et Stéphane Rosenblatt, directeur de la télévision de LN24 (qui possède également LN Radio).

Qu’est-ce qu’IPM apporte à LN24 ?

Emmanuel Tourpe : L’évolution des médias et du marché. C’est-à-dire la fin des îlots, du stand alone, de l’industrie média compartimentée, séparée, segmentée… C’est un mouvement qui s’est opéré en Flandre et en Wallonie avec DPG et qui répond à une certaine logique. IPM veut faire de l’audiovisuel. La différence pour LN24, c’est que le groupe IPM a été cohérent en acquérant un média info. Ce sont les seules chaînes qui progressent dans l’univers TV. Du coup, notre projet est d’aller très loin dans l’intégration. On ne veut pas une grande rédaction unique. Ce serait ridicule. Il faut garder ses marques. Par contre, on va faire de la coproduction. Ce ne sera pas de la synergie éditoriale qu’on lance comme on peut le voir chez RTL (avec Rossel). La rédaction de LN24 a la même taille que celle de la RTBF, mais n’a pas les mêmes moyens. Ce qui va être innovant, c’est de distribuer les mêmes contenus sur une ligne du temps différente à tout un tas de publics qui consomment des plateformes différentes.

Mais IPM n’a aucune expérience en télé…

Stéphane Rosenblatt : L’atout de LN24 et de notre petite expérience, c’est son agilité. L’entreprise est née d’une page blanche. On l’a construite dès le départ avec des gens très polyvalents et des modes de production, de diffusion et de réalisation très souples et très flexibles. Ça nous a permis, dès le 29 août, de démarrer toute une série d’émissions profondément remaniées avec une intégration fortes et déjà de la synergie comme le journal du midi d’Emmanuel Beugnet, rédacteur en chef radio, qui est développé avec les rédactions de L’Avenir et diffusé en télé. Ici, on parle de développement «ensemble», parce qu’il faut que les synergies soient fructueuses pour tous. Ou l’émission de Maxime Binet («Faut qu’on parle») à 17h, en coproduction avec La DH, et qui apporte à LN24 des thématiques grand public (vie quotidienne, consommation,…) qui n’existaient pas sur la chaîne jusqu’ici. Tout ça ne s’est pas fait en un jour et demi, mais on a tout de suite commencé à mettre tout en place. Lorsqu’un journaliste travaille une info, on pourra directement l’envisager de façon 360° et pas juste la presse qui fait le dossier, le JT du lendemain qui en fait un copier-coller et puis la déclinaison web. Ici, toutes les forces des médias sont mises en commun.

E.T. : Au point de vue éditorial, on essaie aussi d’avoir un juste équilibre de la rigueur journalistique de LN24 avec l’idée que l’on veut être la voix des Belges. On ne tombe pas dans le populisme mais on veut faire se rencontrer la société qui a des choses à dire et la rigueur éditoriale. Nos sujets vont concerner les gens et faire remonter leurs préoccupations. Ce ne sera pas juste la chaîne qui montre ce qui se passe en Ukraine ou ailleurs.  

Le point faible de LN24 était la couverture régionale. IPM vous ouvre les portes de ses rédactions locales ?

E.T. : Ce n’est pas juste que l’on va avoir des correspondants de L’Avenir, mais on va travailler avec la rédaction de L’Avenir. Les contenus vidéos que L’Avenir produit auront une amplification nouvelle en télé et toucheront un nouveau public. Ça reste du digital first, press at the middle et TV last. C’est ce qui est neuf dans l’entreprise.

S.R. : On reste un challenger de l’info avec un fantastique pari qu’il faut gagner. On crée nos pratiques nous-mêmes. C’est un travail progressif. Nous restons convaincus par l’esprit collectif et jeune de LN24. L’équipe a déjà beaucoup donné depuis 3 ans, c’est une véritable aventure. Bien sûr, il y a du turn over, mais dans l’équipe de base, beaucoup sont encore là, malgré les difficultés traversées. Ils croient en ce projet, et ils y sont hyper-attachés. Pour certains, c’est leur tout premier job. Commencer sa vie professionnelle par le lancement d’un nouveau média, c’est rarissime.

LCI est votre premier concurrent ?

S.R. : LCI est franco-français et fonctionne sur des événements ponctuels comme le conflit en Ukraine. LN24 se positionne différemment, et on ne les considère pas comme nos concurrents. Nous, nous sommes profondément belges.

La rentrée sera sous le signe du changement ?

S.R. : Nous arrivons dans nos nouveaux studios à IPM (à Etterbeek, NDLR). Le studio principal qui est un mixte de 3D, d’écrans et de décors réels, propose trois capacités de réalisation différentes avec un stand-up et un grand écran pour contextualiser les infos et le plateau général avec des invités. Il y a un coin plus intimiste pour les interviews à deux ou trois personnes. Le tout pour être intégré dans une grande émission avec des formats différenciés. Le deuxième studio est totalement 3D virtuel. Et le troisième est un studio radio-télé pour certains talkshows. Enfin, il y a deux studios pour le développement de la stratégie digitale.

E.T. : On crée un média global pour 2022 : un maximum de contenus sur un maximum de plateformes. Et surtout un état d’esprit collaboratif. Il faut collaborer, collaborer et collaborer…  C’est là que nous allons être pionniers. Avec Stéphane, on traîne nos savates dans les médias depuis pas mal d’années, on sait ce que c’est qu’une institution qui fonctionne, mais on sait aussi reconnaître ce qu’est un média adapté au temps des réseaux sociaux. C’est de la nouvelle télévision, et LN24 est parfaitement adapté à l’époque.

Et les nouveautés ?

S.R. : La matinale devient une émission d’accompagnement plus vivante, conviviale et chaleureuse agrémentée d’info-service. L’info reste la part la plus importante avec des débats plus concernants, de la pop-culture… À midi, il y a le nouveau journal de proximité coproduit avec L’Avenir. À 18h, un rendez-vous d’une heure «Premier sur l’info» avec de l’info, des invités, du débat et du service durant une heure, suivi d’une émission sur l’entrepreunariat avec Charlotte Baut, «On saura tout». À 20h20, le «Grand doc LN24» devient quotidien et ensuite «Les Visiteurs du soir» évolue aussi avec un petit groupe d’experts plus resserrés autour de Jim Nejman. Du changement aussi le week-end dans «Cause toujours» qui passe le dimanche en début d’après-midi. Et le samedi matin est consacré à l’économie. On fait une refonte des flashs qui passeront toutes les heures, en coproduction avec LN Radio.

E.T : Nous avons racheté à la RTBF, via la SONUMA, des enquêtes de «Questions à la une» que nous allons retravailler autrement.

S.R. : Le 17h-23h est construit pour fidéliser nos publics. On quitte les groupes sociaux ultra-élevés pour s’ouvrir à une audience plus large.

Vous laissez tomber la cible CSP+ (pour les catégories socioprofessionnelles les plus favorisées) ?

S.R. : Ce sont des groupes très ciblés. On ne les dénigre pas et on ne veut pas s’en séparer, mais si on veut élargir notre base, on doit s’adresser à l’audience commerciale classique (la PRA 18-54). Aujourd’hui, nous sommes au même régime que les autres chaînes. LN24 devient la chaîne de toutes les infos, et quiconque est curieux et a envie de s’informer, y trouvera ce qu’il cherche. Ce n’est pas que du «breaking news».

E.T : Nous calculons désormais nos audiences dans l’univers 4+, et nous visons d’ici deux ans les 3 % de parts de marché, qui est le niveau de BFM TV en France. Là-bas, BFM est à 3 %, CNews à 1,7 %, LCI à 1,2 % – c’est le niveau actuel de LN24 pour un budget 8 fois moindre – et Franceinfo à 0,7 %. On veut être la chaîne sur laquelle vous allez voir ce qui se passe dès que vous allumez la télé.

Et par rapport à Canal Z ?

S.R. : Nous ne sommes pas du tout dans la même catégorie, avec énormément de publirédactionnel. Leur concept est d’être une chaîne économique et financière. Nous, nous sommes plutôt une semi-généraliste qui fait du documentaire et qui fait de l’info sous toutes ses formes. Je ne pense pas que Canal Z compte retransmettre les funérailles de la reine Elizabeth II. Notre métier n’est pas le même.

LN24 est maintenant pérennisée ?

S.R. : Je ne suis pas là depuis le tout début, mais j’ai entendu presque tous les jours que cette boîte n’avait qu’une semaine à vivre. Dans le contexte belge, c’est extraordinaire qu’elle se développe toujours et qu’elle perdure, pour arriver dans l’escarcelle d’un groupe de médias qui lui donne des perspectives de croissance et une stratégie à long terme. Des gens y ont cru. Il y a de la conviction à LN24 et de la motivation pour se dire qu’il y a une place pour nous. Ça fait des années qu’on attendait cette chaîne d’info, si on ne la lançait pas un jour, on ne la lancerait jamais. C’est comme ça qu’est né le projet. Oui, c’est difficile, oui le marché fait qu’objectivement ce n’est pas toujours rentable. Et je l’ai connu aussi dans l’autre partie de ma vie professionnelle. LN24 existe, elle est là et elle se développe. Le pari n’est pas gagné d’avance, mais aujourd’hui, il est parfaitement jouable. Je dois reconnaître et saluer la vision très entrepreneuriale de Boris Portnoy, l’un des trois fondateurs qui, à l’époque, avait développé des outils jamais exploités en chaîne d’info, avec des personnes ultrapolyvalentes. La RTBF et RTL ne l’ont jamais fait, bien qu’ils en aient les moyens. Sans ce business plan avec des moyens moindres, la chaîne n’aurait jamais pu démarrer. C’était une belle anticipation de sa part.

E.T : C’est le seul pari média où quelque chose de neuf est apporté. Nous ne sommes pas dans la logique de réformer des choses lourdes et complexes. Au contraire, on essaie de saisir le moment opportun et d’y répondre de la manière souple, polyvalente et la moins coûteuse possible. Nous proposons 9 heures de productions propres par jour avec le quart du budget de la rédaction de RTL-TVI, qui produit deux JT par jour.

Entretien : Pierre Bertinchamps

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