«Les Misérables» de banlieue black-blanc-beur

Le film n’est pas une adaptation du roman de Victor Hugo, «mais la pauvreté et la misère sociale demeurent», confie son réalisateur © TF1/Le Pacte

Prix du Jury à Cannes en 2018, primé quatre fois aux Césars et nommé aux Oscars, ce long métrage filme la vie en banlieue avec passion. Et met le feu à nos consciences. À voir ce dimanche à 22h55 sur TF1.

«Les Misérables» (dimanche en fin de soirée sur TF1) n’est pas le premier film sur les tensions suburbaines, mais sans doute l’un des seuls à ne pas verser dans le manichéisme. Inspiré de faits réels, il est réalisé par Ladj Ly (44 ans), franco-malien né en banlieue parisienne, qui a passé sa jeunesse à observer et immortaliser un quotidien que beaucoup préféreraient oublier. Mais l’artiste «croit au pouvoir du cinéma en tant qu’outil pour inspirer la révolution et apporter un changement durable».

Capturer la vérité

«Certains pourraient être confus ou mal à l’aise face à ce film, mais j’espère que dans leur confusion, ils réfléchiront au pourquoi», dit le réalisateur au sujet de son œuvre. «Je fais partie de ce monde incompris, c’est une autobiographie et un témoignage. Vivre dans ces tours est violent, dégradant», ajoute le natif de Montfermeil.

Avec sa voisine, Clichy-sous-Bois, cette banlieue a connu d’effroyables émeutes en 2005, puis une bavure policière – des agents ont passé un jeune à tabac – en 2008. Un épisode que Ladj Ly, en cinéaste amateur doué, a filmé avec sa seule arme : une caméra. Les policiers ont été condamnés à quatre mois de prison avec sursis «pour violence en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique» en 2011.

Poudrières

Ladj Ly s’en inspire pour un court métrage, puis l’adapte en version longue. Celle-ci est encensée par la critique à sa sortie, car elle se veut rude mais objective. «Je n’ai pas voulu montrer de gentils jeunes contre des méchants flics ou le contraire», poursuit-il. «J’ai essayé de filmer chaque personnage sans juger. Je ne dirais pas que j’étais sympathique mais juste avec les anti-héros. On navigue dans un monde si complexe qu’il est difficile de porter des jugements brefs et définitifs. Les quartiers sont des poudrières et malgré tout, on essaye tous de vivre ensemble, on fait en sorte que ça ne parte pas en vrille. Je montre ça : les petits arrangements de chacun pour s’en sortir.»

Comme Victor Hugo

L’un des arguments les plus remarquables du film est son parallèle avec «Les Misérables», le roman de Victor Hugo où les terribles Thénardier habitent Montfermeil, lieu qui voit se croiser Jean Valjean et Cosette. «Son époque était autre, mais la pauvreté et la misère sociale demeurent», confie Ly à Variety. «J’aurais pu prendre le livre et le rendre contemporain, mais je voulais dépeindre comment on vit aujourd’hui avec les menaces constantes de violence.»

Foot rassembleur

La noirceur n’est toutefois pas omniprésente. La fiction montre aussi les jours de liesse où les différences n’existent presque plus. Ceux-ci s’inspirent des fêtes ayant suivi le triomphe de la France lors de la Coupe du Monde de foot 1998 et sa victoire sur la Croatie en 2018. «Le 12 juillet 98 m’a marqué à vie», dit Ladj. «Le foot était parvenu à nous réunir, il n’y avait plus de couleur de peau, de classes sociales. Comme si seul le foot parvenait à nous rassembler. C’est dommage qu’il n’y ait pas d’autres ciments du peuple.»

Ouvrir le dialogue

Le réalisateur et documentariste tient à épiloguer comme dans son film : avec une fin ouverte. «Car je veux qu’il inspire la conversation autour des problèmes, que les spectateurs repartent avec le sentiment que, oui, la séquence rebelle avec la police est dérangeante, mais qu’il faut parler et se demander comment on est arrivés là.»

Cet article est paru dans le Télépro du 24/11/2022

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