Les Magritte du cinéma, petits arrangements entre amis ?

L'un des trophées de l'édition 2020 © Isopix

Y aurait-il trop de trucages dans le cinéma belge francophone ? Non pas dans les fictions elles-mêmes, mais au sein de la «famille des décideurs» ? Enquête.

La Une propose, ce mercredi à 20h20, une «# Investigation» édifiante sur les subventions de notre 7e art. Et sur ses trophées, pas toujours attribués de manière impartiale. En 2015, une «petite» fiction carolo, «Marbie Star de Couillu-les-Deux-Églises», est en lice pour le Magritte du Premier film. Mais ce dernier va à «Je te survivrai» qui n’enregistrait toutefois pas autant de plébiscite du public, le seul habilité à voter pour ce prix-là.

En 2019, la justice a «restitué» la récompense à l’œuvre lésée. Alain Vaessen, co-enquêteur de ce reportage, revient sur ce suspense hitchcockien.

Voici cinq ans, un faux Magritte aurait été attribué. Ça remet en question le fonctionnement des décisions prises en amont…

Le cinéma belge francophone est un microcosme assez fermé avec quelques producteurs puissants, installés au fil du temps en haut de la pyramide qui, certes, ne cadenassent pas tout, mais ont une influence quand il faut cofinancer un film.

Serait-ce une sorte de mafia ?

Je n’utiliserais pas ce mot-là ! Une mafia fait main basse sur tout. Or, ici, on s’arrange pour avoir une part tout en laissant un peu aux autres. Voilà pourquoi aucun des réalisateurs sollicités n’a accepté de témoigner pour nous à visage découvert, par crainte de froisser cette famille du cinéma et de gâcher leurs chances.

Pourquoi leur quête de subventions est-elle si difficile ?

Faire un film est coûteux, des millions sont en jeu. Soit la Fédération Wallonie-Bruxelles accepte un projet et le finance en partie, soit elle ne le valide pas et minimise ainsi les chances d’avoir des apports complémentaires. Son assentiment est un sésame. Sans lui, boucler un budget est pénible.

Ce fonctionnement paraît complexe et peu honnête…

Ce n’est pas de la malveillance ! Soixante à quatre-vingt projets sont déposés par an à la FWB. La Commission de Sélection des Films, composée de cinq personnes, les passe en revue. Comme elles ont jusque-là subventionné un cinéma sérieux, elles donnent l’impression à la FWB d’être en terrain connu. Mais bien que très compétentes, elles ont un certain âge et ne sont peut-être pas assez ouvertes à des projets plus singuliers. Leurs choix nous mènent à des succès et à une notoriété à l’étranger, mais ce cinéma n’est pas toujours apprécié du grand public. La moitié des fictions belges comptabilise moins de deux mille cinq cents spectateurs !

Les décideurs manqueraient-ils de flair et de courage ?

Disons d’audace ! Jeanne Brunfaut, «papesse» de l’administration du cinéma belge francophone, reconnaît avec franchise qu’aujourd’hui, un film tel que «C’est arrivé près de chez vous» ne passerait peut-être pas !

Qu’en est-il du Magritte du Premier film, faussement attribué en 2015 ?

André Logie, producteur de «Je te survivrai» qui est passé devant «Marbie Star», est lui aussi honnête : il a mobilisé ses connaissances pour booster les votes venant soi-disant du public et faire ainsi barrage à l’œuvre concurrente jugée peu méritante.

L’Académie Delvaux était-elle au courant ?

Elle a en tout cas fermé les yeux sur cette affaire, en se disant sans doute : mieux vaut qu’un des nôtres reçoive le trophée, au lieu de ce film venu de nulle part. Ces «arrangements entre amis» arrivent aussi aux Césars, les places étant rares et chères… Je rêve d’un système plus mixte, avec des décideurs plus jeunes, quelques représentants du public, et une vraie attention portée aux nouveaux réalisateurs. Un travail d’introspection du côté de la FWB serait le bienvenu ! 

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 28/5/2020

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