Les «Justes Turcs», héros oubliés du XXe siècle

Des héros oubliés © RTBF

Ce samedi à 21h, La Trois nous propose un document exceptionnel : «Les Justes Turcs, un trop long silence». Il relate une histoire commune à des centaines de Turcs qui, au début du XXe siècle, se sont démarqués en sauvant la vie de milliers d’Arméniens. Descendant d’une famille arménienne sauvée par des Justes, le narrateur du documentaire exhume ces récits d’entraide, nés au cœur de la barbarie. 

Des centaines de Turcs, oubliés de l’Histoire, ont sauvé des milliers d’Arméniens. Entre 1915 et 1923, un million et demi d’Arméniens vivant sous l’Empire ottoman perdent la vie. Depuis, l’Histoire avec un grand «H» s’écrit sous le signe de la controverse autour de ces dramatiques événements. Un siècle après ceux-ci, la Turquie réfute toujours les accusations de génocide. De son côté, le Parlement européen appelle Ankara à reconnaître les faits et considère leur reconnaissance «comme un préalable à l’adhésion du pays à l’Union européenne». Plusieurs nations, comme Israël et la Grande-Bretagne, parlent quant à elles de massacre, mais pas de génocide… En marge de l’Histoire s’écrit aussi l’histoire, parfois faites d’actes héroïques posés par des anonymes. Les terribles événements du début du siècle dernier n’y dérogent pas. Longtemps, les agissements des Turcs qui se sont mis en danger pour sauver des Arméniens ont été tus. Des fonctionnaires, des bergers, des femmes et des hommes ordinaires qui n’ont pas hésité à refuser de se plier aux ordres de dénonciations ou de déportations. Certains en sont morts. Ce sont ces héros de l’ombre que le reportage diffusé samedi soir sur La Trois met dans la lumière.

Témoignage

Il y a trois ans, le quotidien Le Monde relaie ce témoignage. Celui d’une Française d’origine arménienne. Elle se souvient d’un récit que sa grand-tante lui a confié. «Ma famille vivait à Izmir», raconte-t-elle. «Ils étaient joailliers. Un soir, leur voisin, un soldat turc, vient les avertir que le lendemain des massacres auront lieu. Il leur dit : «Je ne peux pas laisser mourir de si belles personnes, ce serait un péché contre Dieu»». Le soldat turc place les enfants sur des ânes et emmène toute la famille vers le port d’Izmir, où un bateau attendait en partance pour la Grèce. La famille réussit à s’échapper loin d’Izmir. Le militaire a moins de chance. Dénoncé, il est exécuté par les hommes de son régiment.

Les Justes

L’expression «Justes des nations» vient du Talmud, «le livre par excellence du judaïsme». Elle a servi à désigner toute personne non juive ayant manifesté une relation positive et amicale envers les Juifs. L’idée va s’étendre au drame vécu par les Arméniens. Combien de Turcs ou de Kurdes désobéirent-ils aux ordres du gouvernement ? Combien ont tenté de sauver et de protéger des Arméniens ? Dans le cas des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, des listes de Justes existent, pays par pays, et leurs noms sont gravés dans la pierre pour être honorés au mémorial Yad Vashem, le Centre mondial de mémoire de l’Holocauste à Jérusalem. Rien de tout cela pour les Justes turcs. Une étude menée par la Fondation Hrant Dink (du nom du rédacteur en chef d’un journal arménien d’Istanbul, assassiné en 2007 par un jeune ultranationaliste) a mis en avant les histoires de centaines d’entre eux. Seuls quelques noms sont mis en avant. Celui de Mehmet Celal Bey principalement.

Le Schindler turc

En 1915, Mehmet Celal Bey est gouverneur de la province ottomane d’Alep (aujourd’hui en territoire syrien) puis de celle de Konya, entre Ankara et Antalya, en Anatolie centrale. Dans ses mémoires, il écrit : «Ma situation était celle d’un homme qui restait au bord d’un fleuve, alors qu’il n’avait aucun moyen de sauvetage. (…) J’ai sauvé tous ceux que j’ai pu attraper avec mes mains et mes ongles et les autres ont été emportés sans possibilité de retour.» À Alep, Mehmet Celal Bey fait obstruction aux directives du gouvernement. Il maintient les Arméniens sur place, empêche les ordres d’expulsions et les massacres. En raison de son insubordination, il est muté à Konya. Même scénario. Pendant quatre mois, il réussit à sauver plusieurs milliers de personnes, avant d’être à nouveau démis de ses fonctions. Profondément touché, son arrière-arrière-petit-fils, est bien décidé à relater l’histoire de cet ancêtre que son humanité a conduit à risquer sa vie. 

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 23/04/2020

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