Le souffle brûlant des dragons !
Ils hantent l’imaginaire collectif depuis des millénaires, mangent des princesses et protègent d’incommensurables magots. Depuis un demi-siècle, les dragons sont aussi au cœur d’un jeu au succès incroyable, «Donjons & Dragons», qui connaît une nouvelle adaptation au cinéma.
De mémoire de «geek» ou d’amateur, on n’avait jamais vu un jeu de société, dit ensuite «de rôle», aussi fascinant et prisé par plusieurs générations. Pas étonnant que ce phénomène se retrouve adapté en saga cinématographique! Loisir emblématique cocréé par les Américains Gary Gygax et Dave Arneson en 1974, «Donjons & Dragons» a apporté un plus au jeu de groupe: ne pas seulement suivre un canevas et des règles fixes, mais être très actif en créant soi-même les rebondissements ! (lisez l’encadré) D’abord proposé sous une forme classique avec cartes et figurines, il a ensuite été adapté en numérique, ce qui a permis d’être connu des nouvelles générations. Des fans sont nés dans le monde entier. Parmi eux : les aficionados lambda, mais aussi beaucoup de célébrités.
Retrouver son imaginaire
De Drew Barrymore à Matthew Lillard, en passant par Matt Damon, Ben Affleck, Dwayne «The Rock» Johnson, dame Judi Dench (88 ans !) ou même le milliardaire Elon Musk, les personnalités qui se sont essayées à «D&D» ont été happées par son style unique. Deborah Ann Woll («True Blood», «Daredevil») confie être une véritable fan : «Il y a quelque chose de viscéral et d’excitant là-dedans! Ce jeu est une bulle de magie et de confort où personne ne peut me juger. Même s’il y a un côté chargé d’action, le jeu pousse à se servir de l’imagination. Plutôt que des armes, les joueurs commencent avec des objets quotidiens dotés de traits magiques uniques et s’en remettent à la créativité, j’adore ça ! Mon esprit est comme libéré!»
Vin Diesel («Fast and Furious») taquine les dragons depuis l’enfance: «Pour moi, c’est toujours une occasion d’explorer ma propre identité et ses multiples facettes parfois cachées, tout en découvrant celle des autres !» L’acteur et cinéaste Joe Manganiello («Les Frères Scott», «Spiderman 3») ajoute: «D&D a remplacé les soirées de poker de jadis comme lieu traditionnel de rencontre entre joueurs invétérés ! En tant qu’adultes, on a tendance à laisser de côté l’imaginaire. Ici, on le retrouve ! Cela compense notre perte de fantaisie. Le jeu de rôle répond à un besoin humain de se retrouver comme autour d’un feu de camp. Ça fait tomber les barrières en nous et entre nous.»
Imprégnation culturelle
Parmi les fans figure aussi Steven Spielberg. Et ce n’est pas un hasard si l’on voit des enfants jouer à «Donjons & Dragons» dans «E.T. l’extra-terrestre». Le réalisateur aurait découvert ce loisir grâce à ses jeunes acteurs, sur le tournage, en les laissant en disputer une partie à l’écran. Dans «Les Goonies», produit par le cinéaste, les jeunes héros unissent leur malice pour se lancer dans une aventure pleine de dangers qui les feront grandir, après avoir trouvé une vieille carte au trésor.
D’autres réalisateurs, eux aussi passionnés par ce jeu de rôle teinté de «medieval fantasy», semblent s’en être culturellement imprégnés. Meilleur exemple : George RR Martin, créateur de «Game of Thrones» où les personnages ont beaucoup de relief et où les symboles et lieux ont autant d’importance que les héros dans le déroulé de l’histoire. «Beaucoup d’acteurs, de réalisateurs et d’écrivains d’aujourd’hui ont grandi en jouant à D&D et vous pouvez le voir dans leurs œuvres», remarque Joe Manganiello.
Mais la fiction qui célèbre sans doute le plus «D&D» est «Stranger Things». La série de Netflix présente «Donjons & Dragons» comme un élément-clé : les jeunes héros se réfèrent à ce jeu pour décrypter et comprendre les phénomènes bizarres qui se déroulent dans leur ville. Les créateurs du feuilleton, les frères Duffer, le racontent volontiers : «On est des fans de la première heure. Nous n’étions que des enfants ordinaires, vivant dans une banlieue de Caroline du Nord, jouant à « Donjons & Dragons » avec nos amis ringards ! Maintenant, nous sommes tous sous l’emprise de cette magie !»
Thérapie puissante et exutoire
Au-delà du plaisir du merveilleux, ce jeu serait bénéfique pour le moral et la santé mentale ! «Surmonter la peur de l’échec est l’un des aspects thérapeutiques les plus notables de ce jeu. Le joueur ou le MD (maître de donjon) lance un dé pour déterminer le résultat d’une décision. Même en cas d’échec, c’est potentiellement instructif et souvent prétexte à l’humour et à la détente», note Jeremy Crawford, concepteur de jeux de rôle, dans le Guardian. «C’est vraiment puissant, ça permet aux joueurs d’être audacieux d’une manière qui n’est pas envisageable dans notre quotidien, tout en sachant que si les choses tournent mal, nous pourrons en rire !»
Bill Benham, administrateur de la D&D Adventurers League et ex-médecin militaire, approuve : «Je souffre du SSPT (syndrome post-traumatique), j’ai suivi des thérapies au ministère des Anciens Combattants. Mais j’ai aussi découvert un outil efficace pour résoudre mes problèmes grâce à D&D. Car vous pouvez affronter quelque chose de potentiellement effrayant ou inconfortable, tout en étant dans un environnement où vous êtes en sécurité, parce que vous êtes avec des amis et que vous vous engagez de manière abstraite. En traitant nos émotions dans cet univers, on est ensuite mieux à même de les traiter dans le monde réel.» James Newman, professeur de médias à la Bath Spa University et chercheur en cultures de jeux, l’observe également : «J’ai parlé à des personnes qui ont utilisé leurs personnages D&D comme exutoires pour canaliser ou surmonter leurs propres peurs ou chagrins !»
Au théâtre et à l’école
L’animatrice et productrice Jane Douglas le considère comme «un théâtre d’improvisation pour les timides» : «C’est vraiment excitant quand on est introverti. C’est créatif et sociabilisant. Il y a aussi des gains et des pertes, vous êtes totalement investi. C’est comme du théâtre mais avec des dés. En plus, c’est un moyen d’évasion réparateur !» «On devrait même pouvoir y jouer dans les écoles !», assure Chris Pine, héros de «Donjons & Dragons : l’honneur des voleurs», actuellement en salles, dans Screenrant. «C’est un jeu immédiatement accessible. Cet univers vous dit : « Voici ce qu’il se passe. C’est votre obstacle. Maintenant, allez-y, foncez ! » Il enseigne la coopération. C’est joyeux (…). En quelques minutes, tout le monde est sur la même longueur d’ondes. Vous ne vous disputez pas pour savoir si vous êtes le meilleur. Vous vous demandez si vous auriez dû ou non passer par-dessus le rocher pour tuer le dragon. Je pense que c’est le concept le plus cool que j’ai découvert depuis longtemps !»
Mythologie des dragons
Comme tous les animaux mythologiques, les dragons ont été, au fil de l’histoire, du temps et de la géographie, associés soit à une figure protectrice, soit à une très dangereuse menace, soit à la cupidité et au péché. Apparus dès l’ère des Sumériens, des Égyptiens et des Grecs anciens, ils ont été, chez ces derniers, combattus sous différentes formes par de nombreux héros dont Héraclès, Cadmus et Zeus. En Chine, ils ont plutôt été des références à la bonne fortune et à la puissance – les empereurs les utilisant pour symboliser leur force. Parmi les représentations asiatiques, le Yinglong, dragon ailé très stylisé, serait à l’origine de l’image du cracheur de feu que nous avons encore aujourd’hui dans notre imaginaire et nos récits fictifs.
«Donjons & Dragons» pour les nuls
Comment se déroule une partie de «D & D» ? Un conteur – connu sous le nom de maître de donjon (MD) – emmène un groupe de joueurs dans une aventure se déroulant dans un monde imaginaire. Le rôle de chacun est de donner vie à cet univers et de «mettre en scène» des personnages ou des créatures (guerriers, elfes, mages, etc.), tout en lançant des dés dont les résultats décideront de leur sort, en les mettant face à des difficultés qui exigent la prise de décisions. Une séance peut impliquer jusqu’à douze joueurs, mais le plus souvent, ils sont entre quatre et six réunis autour d’une table. Ou en ligne, modernité oblige.
Les dragons à l’écran
Énumérer les films et séries dans lesquels les dragons jouent un rôle prépondérant serait une vaine entreprise, tant la liste est longue. Mais parmi les œuvres ayant marqué l’histoire du petit et grand écran, pointons «La Belle au bois dormant» (1959) et «Peter et Elliott le dragon» (1977), des studios Disney, «Dragons» (studios DreamWorks, 2010) et ses deux suites. Au cinéma, la trilogie du Hobbit (Peter Jackson, 2012, 2013 et 2014) met en scène un terrible Smaug. Depuis 2001, la saga «Harry Potter» adore jouer avec le feu de ces créatures ailées. Citons encore, en vrac, «Eragon» (2006), «Le Règne du feu» (2006), la première adaptation «Donjons & Dragons» (2000)… En télé, difficile de ne pas évoquer la série «Game of Thrones», dans laquelle la reine Daenerys peut compter sur de terribles alliés volants, et bien sûr son préquel, «House of the Dragon», dont la première saison vient de se terminer…
Cet article est paru dans le Télépro du 6/04/2023
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