«Le Corbeau» : toujours aussi glaçant !

Pierre Fresnay aux prises avec un vil délateur, dont le pseudonyme est entré dans le langage courant © Isopix

Ce titre du film controversé d’Henri-Georges Clouzot, sorti en 1943, est entré dans le vocabulaire courant pour désigner le pouvoir des lettres anonymes. À (re)voir ce mercredi à 20h40 sur La Trois, 

Intrigue diabolique illustrant les rouages des rumeurs et leurs conséquences sur leurs victimes, «Le Corbeau» a autant troublé les esprits de la France en guerre que les protagonistes de la fiction. Analyse d’une incroyable mise en abyme.

Calomnies immorales

Sorti au cours d’une période tourmentée, le film suit les habitants de Saint-Robin, bourgade provinciale, inondés de lettres calomnieuses signées «Le corbeau». Elles accusent d’abord le Dr Germain (Pierre Fresnay) d’avortements clandestins et d’une liaison adultérine avec l’épouse d’un de ses confrères, puis révèlent bientôt les secrets honteux de tout un chacun. Suspicion et méfiance gâchent vite le quotidien.

Malgré son succès, la fiction est retirée de l’affiche. La gauche (la Résistance) y voit une œuvre démoralisante «antifrançaise», le gouvernement de droite de Vichy la qualifie d’immorale, pensant y voir une allusion aux dénonciations alors très courantes.

Du tigre au corbeau

Mais la création de Clouzot s’inspire d’un fait survenu à Tulle entre 1917 et 1922 : des missives, signées «L’œil du tigre», dénoncent les travers des gens, allant jusqu’à provoquer des suicides. Après une dictée imposée, la police découvre que l’écriture est celle d’Angèle Laval, «vieille fille» éprise de son chef de bureau qui en a épousé une autre, dont la colère finit par salir tout le village. Sa signature fait référence à une pierre qui, selon une légende, envoie de mauvaises ondes.

En la décrivant durant son procès comme «tassée, boulotte aux vêtements noirs faisant penser à un oiseau funèbre qui aurait reployé ses ailes», le texte d’un journaliste amènera la foule à la qualifier de «corbeau». Encore aujourd’hui, tout délateur ou criminel est affublé de ce surnom à travers maints autres faits judiciaires dont le plus mystérieux reste l’affaire Grégory.

Explosions intimes

Quant au film de Clouzot, son regard sur le cynisme que peut exprimer l’âme humaine reste actuel. Que les mots anonymes vengeurs soient sur papier ou sur le Web, cachés par de faux profils, ils montrent encore combien l’anonymat peut être galvanisant pour leurs auteurs. Sujets d’études, ces textes infamants fascinent toujours.

Selon le Dr Paul Bensussan, psychiatre-expert de la cour d’appel de Versailles, «les corbeaux se recrutent dans tous les milieux sociaux.»

Francette Vigneron, passionnée de criminologie et de l’affaire de Tulle, explique sur BFMTV : «Angèle Laval savait faire mal aux gens, au cœur de leur cible intime. L’anonymat vous donne l’illusion du pouvoir absolu. Le plus dangereux dans ces lettres n’est pas ce qu’elles contiennent, c’est le fait qu’elles existent. Ce sont des explosions intimes souvent sous-estimées. Comme le dit Hannibal Lecter : « Frustration et convoitise sont les deux mamelles du crime »…»

Cet article est paru dans le Télépro du 9/6/2022

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