L’art du nanar !
On le visionne avec jubilation. Parfois en cachette. Parfois, on assume. À l’instar des «nanarophiles». Car oui, il y a des aficionados du genre !
«La Brigade en folie», «Mon curé chez les nudistes», «N’oublie pas ton père au vestiaire», «Les Charlots font l’Espagne»… : dans les années 1970-80, une noria de nanars a envahi les écrans. Mais le phénomène existe depuis bien longtemps.
Splendeur de la nullité
À l’orée des années 1950, Ed Wood, toujours surnommé «le plus mauvais cinéaste d’Hollywood», lance ce genre gras aux récits bas de plafond, mâtinés de science-fiction à deux balles ou d’ingrédients érotiques : «La Fiancée du monstre», «La Fiancée de la jungle», etc. Son mauvais goût est si navrant qu’il en devient drôle. Tim Burton lui consacre un biopic avec Johnny Depp en 1994. Tout cinéphile et cinéphage est conscient de la nullité des nanars, mais ne peut y résister ! On en trouve dans tous les pays, du Japon à l’Italie en passant par les États-Unis. Et malgré la disparition des vidéo clubs, où ils étaient légion, ils continuent de faire des petits. Au grand écran ou sur les plateformes.
Indispensable, comme les frites
Des spécialistes s’y intéressent, en étant précis quant aux appellations. Le nanar serait dérivé de «navet» – utilisé au XIXe siècle pour de laids tableaux -, et de l’argot ancien «panard», désignant un vieillard aux manières surannées et ridicules dont on se moque gentiment. Le nanard assume donc ses grosses ficelles. Le navet, lui, est ennuyeux, tel le goût fade du légume éponyme. D’autres fictions sont dites «de série B» ou, pire, «série Z» : leur but affiché est d’être un produit bas de gamme juste bon à être consommé puis jeté.
Quelle que soit leur catégorie, pourquoi ces zéros pointés ont-ils du succès ? Selon Simon Laperrière et Antonio D. Leiva, auteurs canadiens d’«Éloge de la nanarophilie» : «Le nanar naît dans le regard du spectateur qui, au lieu de s’agacer de ses travers, s’en réjouit !» François Forestier, critique ciné de L’Obs et auteur des «101 nanars : Une anthologie du cinéma affligeant (mais hilarant)», souligne dans le Figaro : «Le nanar est indissociable de l’histoire du cinéma. S’il n’existait pas, il n’y aurait pas de chefs-d’œuvre. Le chef-d’œuvre est formidable, mais souvent emmerdant. Le nanar est toujours distrayant. Plus il est mauvais, plus il est bon ! Il est au ciné ce que les frites sont au steak. Indispensables !»
Grave mais pas désespéré
De quoi décomplexer quiconque se délecte de visionner «Plus beau que moi tu meurs» avec Aldo Maccione, acteur fétiche de Philippe Clair, un des rois du nanar français, de revoir la sympathique «7e Compagnie» ou les volets les moins aboutis des «Gendarmes». Michel Galabru est de ces pointures césarisées qui ont accepté des inepties pour manger : «Je ne veux pas cracher dans la soupe, c’est le nanar qui m’a fait vedette. Pour les bons films, je me suis rattrapé sur le tard. J’ai dit aussi à de Funès , quand on tournait nos «Gendarmes», qu’il était mal utilisé et pourrait faire tellement mieux. Mais il n’avait pas la grosse tête».
Il faut parfois longtemps aux cinéastes pour reconnaître un talent singulier. Quand Claude Chabrol demanda à Michel Serrault («Le Grand bazar», «La Situation est grave mais pas désespérée»…) comment il avait pu tourner autant de c***, l’intéressé répondit : «Ça ne serait pas arrivé si tu m’avais donné plus tôt les grands rôles que j’attendais !»
Prises de risques
Nombre de comédiens du petit et grand écran en ont fait l’expérience à leurs débuts : Franck Dubosc et Éric Elmosnino (ensuite césarisé pour «Gainsbourg : Vie héroïque») dans «À nous les garçons !» (de Michel Lang), Xavier Deluc («Section de recherches») dans «Les Branchés à Saint-Tropez» (de Max Pécas, autre roi de la daube), Anne Parillaud (future «Nikita») dans «L’Hôtel de la plage» (de Michel Lang), Daniel Auteuil dans «Les Sous-doués» (de Claude Zidi). Mais il y a un plus dans ce registre du moindre. Comme feu Serrault expliqua à La Libre Belgique : «Je préfère un film comique à un sérieux. Mais on risque beaucoup plus, on risque d’être ridicule. Sur un film sérieux, là on ne prend pas beaucoup de risques.» Et tous les genres peuvent conduire à la postérité. François Forestier en est sûr : «Le navet d’aujourd’hui peut devenir le nanar de demain. J’ai confiance, le nanar survivra à tout, même à la médiocrité !»
Cet article est paru dans le Télépro du 4/08/2022.
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