La face cachée de Churchill
Mardi 3 juillet 2012, Arte programme le documentaire «Churchill, maître du jeu», l’occasion d’en apprendre un peu plus sur cet illustre personnage, fascinant mais controversé.
Le portrait de Churchill, avec son éternel cigare et ses doigts formant le V de la victoire, comporte aussi des zones d’ombre, comme nous l’explique l’historien Michel Dumoulin (UCL).
Entretien : Stéphanie BREUER
Winston Churchill est resté dans la mémoire collective le héros qui a su résister à l’Allemagne nazie. Pourtant, sa carrière est loin de se résumer à la Seconde Guerre mondiale. Il a d’abord combattu en Afrique du Sud…
Avant la guerre de 1914, il a d’abord été, fort jeune, mêlé à la guerre des Boers. Son comportement soulève des questions par rapport à l’image qu’il acquerra par la suite. Comme toutes les guerres, ce conflit a été une horreur, mais l’historiographie a insisté sur les atrocités commises à l’époque. Churchill appartient à une génération à laquelle beaucoup de choses sont reprochées. Mais – et ce n’est pas une excuse – il faut noter que c’est un courant transeuropéen, voire transatlantique. À la même époque, les Américains se comportent comme des barbares aux Philippines. Il y a les affaires congolaises, les Allemands en Afrique orientale… Toujours est-il que les bases de l’expérience de Winston Churchill sont marquées par la violence et la guerre.
Ensuite, Churchill entre sur la scène diplomatique…
Sa carrière le conduit à assumer des responsabilités au début de la Première Guerre mondiale. Il joue un rôle important en tant que Premier Lord de l’Amirauté. C’est à cette occasion que les Belges le voient de plus près. Au moment du siège d’Anvers par les troupes allemandes en 1914, il joue un rôle dans l’évacuation d’Anvers. Très jeune, le personnage a déjà une stature considérable. Et il a surtout, au sortir de ce conflit, un regard intéressant sur les grands changements qui vont intervenir en Europe centrale et orientale. Il est le premier à parler d’une sorte de cordon sanitaire qu’il faut dresser contre la République des Soviets, future URSS. Et étant nostalgique de l’Empire des Habsbourg, il regrette que l’Europe centrale et orientale ressemble à une grande mosaïque de petits États nationalistes.
Dans un document datant de 1937, il tient des propos antisémites !
Il y a un côté churchillien très éloigné de l’image manichéenne du héros pur et dur. Churchill est un conservateur, pétri par la grandeur de l’Empire britannique. Il a combattu contre les Boers, en Inde, au Soudan. Et aussi du fait de ses origines et de son éducation, il a cette logique impériale et impérialiste qui consiste à considérer les autres comme inférieurs.
Mais c’est aussi un personnage fascinant…
Oui, par ses attitudes, ses mots célèbres, son caractère de bouledogue, son côté roc. Mais en même temps, c’est un homme profondément ancré dans le XIXe siècle. Cela étant, il avait aussi une vision intéressante de la construction européenne, comme on l’appelle aujourd’hui. Churchill était à l’opposé de l’image qu’on a du Britannique anti-européen. Son discours prononcé à Zurich en septembre 1946 est un véritable appel à la construction européenne et a eu un impact considérable. Ce discours est à l’époque une main tendue à la Russie, ce qui est très habile au plan politique. On le rappelle trop peu souvent, mais jusqu’à un certain point, Churchill est un artisan de l’idée européenne et devrait avoir sa place aux côtés de Schuman et Monnet.
Durant la Seconde Guerre mondiale, il a aussi commis des actes controversés. Il aurait ainsi couvert Staline, responsable du massacre de Katyn (le meurtre de milliers de Polonais au printemps 1940), pour préserver leur alliance…
Il y a beaucoup de présomptions à propos de la connaissance qu’a pu avoir Londres de la situation en Pologne. Il y a certainement eu couverture ou non-dénonciation car les circonstances impliquent – et c’est d’un cynisme absolu – d’être prêt à couvrir des choses abominables au nom de la grande politique. De même, comme l’a écrit l’historien Raoul Hilberg dans «Le Terrifiant secret», il est évident que les gouvernements alliés à Londres, et a fortiori les Britanniques et les Américains, sont au courant de ce qui se passe à Auschwitz-Birkenau. Sans en connaître les détails, ces derniers savent que quelque chose de plus grave que des déportations touche la communauté juive. Mais, ce ne sont pas les priorités, donc personne ne bouge.
On lui reproche aussi le bombardement de Dresde en 1945, faisant de nombreuses victimes…
Ce dossier, apparu plus récemment, fait l’objet de polémiques. Jusqu’où fallait-il pilonner une ville comme Dresde ou couler dans la Baltique un navire transportant des Allemands fuyant vers la Suède ? Ces décisions hérissent le sens commun et scandalisent – et à juste titre – l’honnête citoyen. On a jugé que rayer une ville et sa population civile de la carte pouvait accélérer la fin du régime nationale-socialiste. Mais jusqu’où y a-t-il une forme de vengeance ? D’une part, cela révolte ; d’autre part, que fait-on dans pareille situation ? Il faut se remettre dans le contexte de la guerre et aux commandes d’un pays qui, en juin 1940 du fait de la non-intervention des États-Unis, est seul sur la scène. De plus, avec son éducation, son expérience importante depuis la fin des années 1890, les événements qu’il a pu connaître tout au long de sa vie, Churchill s’est armé d’un cynisme et d’une forme de désillusion colossale à l’égard de ses contemporains.
Une autre facette moins connue de Churchill est sa carrière d’écrivain et son Prix Nobel de littérature (en 1953)…
Lorsque Churchill combattait en Inde, au Soudan ou en Afrique du Sud, il était aussi correspondant de presse. Ses mémoires sont un monument dans tous les sens du terme, au niveau du nombre de volumes et de l’excellence de l’écriture. Churchill avait le sens de l’histoire et une plume d’une qualité exceptionnelle. Il avait plus que du talent, on peut parler d’une forme de génie littéraire.
Churchill et Léopold III
«Pour l’anecdote, Churchill ne pouvait pas voir Léopold III en peinture», ajoute l’historien. «Il l’avait rencontré dans les années 30 lors d’un voyage officiel à Londres. Et il disait de lui : « C’est un Cobourg. Il n’a rien appris et il n’a rien oublié ». Il voulait ainsi dire que Léopold III n’avait pas voulu voir les évolutions et continuait de ressasser des reproches à l’égard de tout le monde. Churchill traitait donc le Roi de manière condescendante.»
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