«La Fabrique de l’ignorance» ne connaît pas la crise
Ce documentaire, à voir ce mardi à 20h50 sur Arte, dévoile les stratégies politiques du mensonge qui sont considérées par certains comme un art. Pour mieux nous mener par le bout du nez ?
«Faut-il tromper le peuple pour son bien ?» C’est la question que pose dès 1733 l’auteur anglais Jonathan Swift. Sur le mode satirique, le père de «Gulliver» y va de ses réponses dans un livre dont le titre à lui seul est déjà tout un programme : «L’Art du mensonge politique». Pour Swift, cet art repose sur quelques grands principes de base, le premier étant de soustraire le mensonge à toute vérification possible. Près de trois siècles plus tard, toute ressemblance avec des situations ou des personnages existants n’est absolument pas fortuite.
Big little lies
Juin 2016. La campagne pour le referendum sur l’avenir du Royaume-Uni dans l’Union européenne bat son plein. Pro et anti-Brexit sont au coude à coude. Pour tenter de rallier à leur cause un maximum de suffrages, les partisans du «Leave» («quitter») optent notamment pour un moyen de promotion original : un autobus rouge dont les flancs sont barrés par un slogan en larges lettres blanches : «Nous donnons 350 millions de livres par semaine à l’UE. Mieux vaut financer notre sécurité sociale. Votez «Leave».» De l’avis de nombreux observateurs, cette affirmation et ce chiffre chocs, largement diffusés sur les réseaux sociaux, y seront pour beaucoup dans la courte victoire de Boris Johnson, Nigel Farage et leurs partisans au soir du 23 juin. À l’origine de ce mensonge, Dominic Cummings, directeur de campagne du mouvement «Vote Leave». Les démentis officiels de la part du gouvernement ne pourront rien contre ce bobard ni contre la promotion qu’il vaudra à son «inventeur» : Cummings est aujourd’hui le principal conseiller du Premier ministre britannique.
Fake news
«Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que vent.» Cette fois, c’est George Orwell, auteur des célèbres «1984» et «Animal Farm» qui y va de ses considérations personnelles sur le sujet. Une citation qui garde, elle aussi, toute son actualité plus d’un demi-siècle après avoir été prononcée. D’autres exemples ? Direction «La Fabrique du mensonge», une série de documentaires diffusée par France 5. Dans une édition spéciale consacrée à Donald Trump et Jair Bolsonaro, on découvre la stratégie de désinformation mise sur pied par les équipes de campagne des deux hommes pour s’emparer du pouvoir respectivement aux États Unis et au Brésil. Plus récemment, Facebook et Twitter ont pris leurs responsabilités et décidé de supprimer les fake news du président américain concernant le covid «beaucoup moins mortel que la grippe saisonnière». Quant au président Bolsonaro, c’est son fils, Carlos, qui est poursuivi par la justice pour avoir mis sur pied une véritable «usine à fake news», un «cyber commando» qui a pour but d’intimider et de menacer les autorités publiques sur Internet…
Le mentir vrai
Un vaccin contre la rougeole qui provoquerait l’autisme, des théories complotistes en tout genre : à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, les fausses informations fleurissent et se répandent à la vitesse de l’éclair. «L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme», écrivait Victor Hugo. Comment la société produit-elle cette ignorance, comment l’entretient-elle ou la propage-t-elle : autant de mécanismes qu’étudie l’agnotologie, la science de l’ignorance. Pas uniquement au niveau politique, mais aussi dans les stratégies de lobbies comme celui de l’industrie du tabac ou du climatoscepticisme, rappelle Toupie. org. Pour influencer l’opinion, remporter une élection ou gagner de l’argent, l’usine du mensonge tourne à plein rendement.
Cet article est paru dans le Télépro du 12/11/2020.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici