Judith Godrèche : «Se moquer de soi relève du funambulisme»

Dans «Icon of French Cinema», Judith Godrèche se met en abyme de façon jubilatoire © Arte/David Koskas
Nicole Real Journaliste

Dès jeudi à 20h55 sur Arte, l’actrice de 51 ans joue de son image avec autodérision dans «Icon of French Cinema», une série qu’elle a écrite et réalisée.

Dans «Icon of French Cinema», Judith Godrèche raconte les désillusions d’un come-back raté en France, sur un ton résolument décalé et excentrique.

Comment est née l’idée de cette série en six épisodes ?

Exilée à Los Angeles, je ressentais un peu le mal du pays. Cet isolement me donnait l’impression d’avoir perdu mon statut d’actrice que j’avais acquis très jeune. Et, pourtant c’est cet anonymat qui m’a permis de me redécouvrir. Vivre dans ce no man’s land intellectuel et visuel m’a désinhibée et a libéré ma parole. En transcrivant, dans une langue étrangère, des émotions personnelles, j’ai enfin trouvé et assumé ma voie artistique. Parler de choses graves avec autodérision me donnait le sentiment de n’avoir plus rien à perdre. J’étais certaine que ce projet, très original, resterait dans les cartons, ce qui m’a ouvert les portes d’une liberté totale de création.

Pouvez-vous définir cette série ?

Cet ovni, a priori difficile à défendre, est un projet à l’humour plutôt anglo-saxon qui, au niveau du langage, navigue entre les États-Unis et la France. Se moquer de soi-même n’est pas monnaie courante dans les séries françaises. C’est en la travaillant avec Arte, qui m’a soutenue sans réserve dans ce projet un peu fou, que celle-ci a pris toute son ampleur.

Comment avez-vous conçu le profil de votre personnage ?

L’histoire de cette adolescente attardée, extravagante et un peu foldingue n’est intéressante que si on remontait à son enfance. J’ai rarement évoqué ma genèse dans le cinéma français car cela n’a jamais été un sujet en soi. J’ai suivi de nombreuses psychanalyses, mais je n’avais jamais pris conscience d’avoir débuté à une époque où l’art étant un passe-droit absolu, les jeunes filles étaient considérées comme des objets. Pour aborder le sujet plus général de l’innocence d’une jeune fille confrontée au pouvoir de ceux qui dirigent, je devais à mon tour, m’emparer du cinéma pour filmer ma propre expérience.

N’avez-vous pas eu peur de blesser votre entourage ?

Quelle que soit la forme artistique qu’on choisit pour parler de soi, il est toujours difficile pour la famille et l’entourage de voir un vécu commun raconté à travers le regard d’une seule personne. Ma version de mon enfance mise en images est forcément bouleversante pour ceux qui l’ont partagée avec moi. En soi, l’incarnation est déjà un choc. C’est mon histoire et, aujourd’hui, je ne porte aucun jugement sur le comportement des gens car je vivais dans une société permissive et aux mœurs très libres. Ce qui, heureusement, n’est plus le cas.

Est-ce difficile de jouer son propre rôle ?

Cela peut être périlleux. Mais quand on est bien entouré, cet exercice n’est pas difficile. Ma grande peur était de tomber dans la complaisance. Arriver à se moquer de soi-même alors qu’on est au centre de l’histoire relève du funambulisme.

Qui a eu l’idée de confier le rôle de votre fille à votre propre fille, Tess Barthélémy (18 ans) ?

C’est moi, mais Tess n’a profité d’aucun passe-droit puisque, pour convaincre les producteurs qu’elle pouvait jouer le personnage, nous avons tourné quelques scènes dans les rues de Paris. Elle est, d’ailleurs, un peu la raison pour laquelle j’ai eu envie d’écrire cette série.

Aujourd’hui, comment percevez-vous la jeune fille que vous avez été ?

En écrivant cette série, je me suis aperçue que je n’assumais pas une certaine violence intérieure. Pour correspondre à l’image de la gentille et charmante petite fille, égérie femme-enfant du cinéma français, un univers dirigé principalement par des hommes, je me suis astreinte à adoucir les choses. Pour combattre cette peur ou cette inhibition, il était important dans ce projet d’oser aller jusqu’au bout de mes envies. Mais c’est, forcément, un pari risqué.

Cet article est paru dans le Télépro du 21/12/2023

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