Jean-Paul Philippot sur le «No Billag» : «Il n’y a pas de chèque en blanc donné au service public !»

Jean-Paul Philippot sur le «No Billag» : «Il n’y a pas de chèque en blanc donné au service public !»
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

La Suisse est en passe de prendre une décision importante : la suppression de sa redevance TV. Télépro a interrogé Jean-Paul Philippot sur les risques de la disparition d’un service public audiovisuel.

Le «No Billag» déchire la Suisse. Du nom de la société en charge de récolter l’argent de la redevance radio et TV, son existence est remise en cause par une votation (référendum) qui se tiendra le dimanche 4 mars.

Si les Suisses acceptent le «No Billag», dès 2020, l’audiovisuel public perdra la totalité de ses subventions. Faute de moyens, la RTS (télévision suisse) devra fermer. Dans le clan des partisans à cette suppression, des jeunes qui ne veulent plus payer pour un média qu’ils ne regardent pas.

Jean-Paul Philippot, également président de l’UER (Union européenne de radiotélévision), fait un état des lieux des services publics à travers l’Europe et le risque d’un «oui» au «No Billag».

Un peuple qui demande la suppression de sa télévision publique, c’est un coup de poignard dans le dos ?

Tout d’abord, avoir un débat public, autour d’une chaîne publique, c’est tout à fait normal. On l’a vécu chez nous, dans le cadre de l’élaboration du contrat de gestion de la RTBF récemment. Des intervenants externes ont porté le débat, et parfois porté aussi la polémique pour faire valoir leur point de vue. C’est le rôle d’une chaîne publique de répondre à ces questions. Il est du devoir du service public de montrer la valeur qu’il apporte à la société, et de revisiter sa proposition de valeur régulièrement.

Et quand on dit «je préfère payer pour ce que je regarde» ?

C’est un choix de société. Il dépasse largement l’audiovisuel public. On a bâti un modèle de société chez nous, mais aussi chez nos voisins, où nous vivons dans des démocraties avec des systèmes de redistribution importants dans lesquels on considère qu’un certain nombre de services à la population doivent être supportés par la collectivité au nom de l’intérêt et de l’usage général. On pourrait très bien pousser ce raisonnement et se demander «est-ce qu’il est normal d’avoir une sécurité sociale ? Je préfère ne payer que pour les soins que je dois avoir !» ou «est-ce qu’il est normal d’avoir des transports publics ? Je paie pour les déplacements que je fais.» Ce n’est pas ce modèle-là qui est le nôtre.

Il peut y avoir un risque de contagion à d’autres pays que la Suisse ?

D’une part, en Belgique, on ne paie plus la redevance. D’autre part, il faut replacer les choses à leur valeur réelle. Dans notre pays, l’audiovisuel coûte 0,22% du PIB. Nous devons démontrer la valeur que nous apportons en regard des moyens que nous recevons. C’est pour cela que nous avons un contrat de gestion, et que nous sommes soumis à un contrôle par un organisme indépendant. Il n’y a pas de chèque en blanc au service public. Nous avons fait une étude, l’an dernier, pour connaître la valeur économique du service public, et la conclusion est que pour chaque euro de dotation, il y a 2,80€ d’investissement dans l’économie belge. Quand on met 1€ dans Netflix, il y a zéro euro qui revient dans l’économie belge que ce soit en impôts, en emploi ou en production locale. C’est de tout ça qu’il faut parler et qu’il faut expliquer. J’espère que ce travail de pédagogie et le débat suscité par cette votation en Suisse donneront des clés aux citoyens suisses pour qu’ils fassent le choix de continuer à entretenir, financer et supporter un audiovisuel public, non pas parce que c’est «comme ça et qu’on l’a toujours fait», mais parce qu’il apporte une valeur culturelle, démocratique et de lien social.

En Belgique, on vous a déjà «menacé» de couper les vivres à la RTBF ?

Non. Et si vous regardez les recommandations des formations politiques en Fédération Wallonie-Bruxelles dans le cadre du contrat de gestion de la RTBF, aucune ne demande une fermeture du service public.

L’Union européenne ne garantit pas la pérennité des services publics ?

Il n’y a pas dans la législation européenne l’obligation d’avoir un service public audiovisuel. Il y a par contre toute une série de dispositions qui reconnaît leur existence et le droit des États à les financer. L’UE reconnaît également la contribution des services publics au pluralisme des médias et la diversité culturelle.

En ce moment, les services publics ne sont-ils pas attaqués de tous côtés ?

Il y a plusieurs exemples. Si on prend la Turquie, c’est plutôt une question sur l’indépendance éditoriale du service public par rapport au pouvoir. Il n’y a pas de craintes pour sa pérennité puisque son financement a été renforcé. Pour la Grèce, c’est un pays qui a été soumis à un plan drastique d’économies imposé par l’extérieur. Sous le couvert de ses économies, le gouvernement avait décidé de fermer ses radios et ses télévisions. Ils ont reconnu par la suite que c’était une erreur, et on les a rouverts. Les attaques sont soit économiques, soit des choix liés à la volonté de contrôler, museler ou réduire une indépendance.

On pourrait imaginer une démocratie sans service public audiovisuel ?

Les États-Unis n’ont pas de service public. PBS fonctionne plutôt avec un financement par mécénat. Les Américains n’ont pas une culture du service public au sens où nous l’entendons ici. Je constate que toutes les démocraties développées, que ce soit en Europe ou ailleurs, ont des services publics forts.

Il y a une crainte d’arriver au modèle américain ?

Pour le moment non, et pour deux raisons. Internet n’est pas une plateforme d’information sans risque (fake news,…) avec donc un rôle que l’on demande au service public d’être le garant d’une information certifiée, vérifiée et indépendante. C’est une mission que l’on a toujours eu, mais elle est de plus en plus prioritaire aujourd’hui. Et face à l’émergence d’acteurs mondiaux de l’audiovisuel, les fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR), le risque d’une culture uniformisée plane de plus en plus. En tant qu’investisseurs et producteurs de contenus locaux, les services publics ont leur carte à jouer. Les services publics en Europe investissent 55% de leurs revenus en contenus originaux. Les GAFA, seulement 2% !

Un autre aspect du «No Billag», c’est l’envie d’éditeurs privés de supprimer la SSR pour récupérer les parts de marché publicitaires…

Il y a peut-être cette tentation, qui n’est pas neuve… Elle remonte à l’introduction de la publicité. Cette problématique a été tranchée par l’Europe. À plusieurs reprises, les opérateurs commerciaux ont sollicité l’Europe pour faire limiter les services publics d’avoir recours à du financement commercial. C’est un débat du XXe siècle. La compétition sur le marché publicitaire ne se fait plus entre chaînes privées et chaînes publiques en télévision. Mais plutôt un match entre la télé et les médias numériques.

Quel avenir voyez-vous pour les services publics ?

Dans les dix à vingt ans qui viennent, les services publics vont renforcer leur rôle dans l’espace démocratique, dans l’entretien de lien social, et surtout dans une société qui devient plurielle. Le service public a un rôle de contributeur au pluralisme des médias. Nous sommes un acteur majeur dans les débats, et il y a toujours cette garantie d’une information vérifiée et certifiée disponible sur toutes les plateformes. Enfin, un service public est le partenaire des créateurs et de celles et ceux qui portent la culture locale sur toutes ses formes.

En cas de vote pour le «No Billag», l’UER a prévu un plan B ?

Non, ce n’est pas notre rôle, et nous n’en n’avons pas les moyens. On ne peut pas se substituer au service public suisse. Par contre, il est clair que nous organiserons une mobilisation sans précédent si ça se termine mal…

«No Billag» est une remise en question pour les services publics ?

Il faut tout d’abord remettre tout cela dans le contexte suisse, qui n’est pas membre de l’Union européenne. Ensuite, ce sera l’occasion de débats sur la place et le rôle des services publics, c’est certain…

Un pronostic ?

Non… je ne rentre jamais dans ce genre de jeu. Je regarde juste les sondages, et à ce stade, ils sont en faveur d’un maintien de la SSR.

Entretien : Pierre Bertinchamps

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