Jamais sans son chat !

Élégants, libres et mystérieux, les chats ont fasciné les plus grands, dont Ernest Hemingway, Colette et Victor Hugo qui disait : «Dieu a inventé le chat pour que l’homme ait un tigre à caresser chez lui». Ces minifauves et les humains sont-ils «félins pour l’autre» ?

Avril sera le mois des chats au cinéma avec «Maurice, le chat fabuleux», «Ma langue au chat» et «Mon chat & moi, la grande aventure de Rroû» (adaptation du roman «Rroû», de Maurice Genevoix), merveilleuse œuvre qui, grâce à la patience de son réalisateur Guillaume Maidatchevsky et des coaches sur le plateau, saisit toute la beauté du félin, de ses liens avec la nature et avec nous.

Jessica Serra, docteure en éthologie (analyse du comportement animal), auteure (*) et coanimatrice de «La Vie secrète des chats» (TF1), revient sur les charmes et mystères de ces félins.

Le film reflète-t-il bien la réalité de ce que peut être un chat ?

Oui, surtout en montrant la complicité entre l’héroïne et le chaton qu’elle trouve. Le chat est indépendant mais, comme le récit l’illustre, peut s’attacher à nous et ce, sur la durée. L’animal peut néanmoins garder l’amour de la liberté. Beaucoup de ses congénères apprécient la chaleur du foyer, ce qui n’empêche pas certains de conserver cette envie de vagabonder ! Ce sont bien des bêtes domestiques, mais qui restent sauvages, on le constate avec leur goût pour la chasse et l’aventure.

Malgré cela, peuvent-ils s’attacher à un territoire, tel un appartement, même exigu ?

Absolument ! Le chat tient de ses ancêtres un fort esprit de territorialité. Même s’il a accès à un jardin, il peut considérer que son territoire se limite aux murs d’une maison ou d’un appartement. En éthologie, on appelle ça «domaine vital». Pour le marquer, le félin y dépose ses marques olfactives, en se frottant à des meubles ou en les griffant.

Beaucoup de propriétaires disent : «Je ne vis pas chez moi, je vis chez mon chat !»

J’ai toujours été d’accord avec cette affirmation! (Rire) Le chat est un prodige de l’adaptation – aux humains, aux autres animaux… -, mais il ne concède pas tout! Il a des limites et sait s’affirmer. On doit respecter son sommeil, sa tranquillité, son caractère et ne pas le caresser sans prévenir.

Autre adage : «Les chiens ont des maîtres, les chats ont des valets…»

La réalité est un peu plus poétique que ça ! Les chats nous considèrent probablement comme des mères de substitution. Et qu’attend-t-on d’une maman? Beaucoup de choses, dont la nourriture! Le chat domestique a développé un mode de communication très raffiné et miaule seulement quand il «discute» avec l’humain. Dans le monde sauvage, les chats adultes miaulent peu. En revanche, les chatons miaulent à chaque fois qu’ils ont besoin de leur mère. Les espèces domestiquées prolongent cet échange. Mieux, ils l’adaptent en fonction de l’efficacité qu’il a sur leur humain!

Dans le monde animal, à quel niveau se situe leur intelligence ?

En éthologie, on ne hiérarchise pas cette donnée, car elle dépend du milieu et du niveau d’adaptation à ce dernier. Néanmoins, des études sur la cognition montrent une très bonne mémoire, la capacité de reconnaître leur prénom – si vous avez dix-huit chats, tous sauront reconnaître lequel d’entre eux est appelé – et une excellente communication dont l’élément-clé est le ronronnement.

Que dire de leur sensibilité ?

Leur panel d’émotions est très développé. On le capte à leurs yeux, leurs oreilles, leurs moustaches, la posture du corps, le frétillement de la queue. Mais de son côté, le chat décrypte nos ressentis et certainement mieux que nous vis-à-vis de lui! En outre, il sait adapter son comportement selon ce qu’il décode chez l’humain. Quand on est triste ou angoissé, le chat marque souvent une présence plus forte pour nous réconforter. C’est aussi un fin observateur de notre gestuelle, de nos expressions faciales et de l’intonation de notre voix !

Néanmoins, si certains sont très câlins, d’autres ne le sont presque pas ou mettent des années à être plus tendres…

Comme l’homme, ils ont différentes personnalités selon le patrimoine génétique et les expériences de vie qui vont moduler celles-ci. Il y a aussi une période de sensibilisation et de socialisation chez le chaton entre 0 et 3 mois : elle est fondamentale pour la création des liens. Un chat sera plus difficile à apprivoiser qu’un petit ayant été en contact plus tôt avec l’homme. Il y a aussi le facteur des races. Certaines aiment les caresses à petites doses, d’autres sont très affectueuses en permanence. Il existe même le syndrome d’hyperattachement pour les «chats-chiens».

Durant le confinement, des millions de gens ont visionné des photos et vidéos de chats. Pourquoi ?

Cela ne date pas de la période covid. Le chat a un effet «mignonnerie» évident ! Il suscite d’emblée la sympathie, voire l’empathie, on a envie de le prendre dans nos bras. C’est parce qu’il a des traits néoténiques (la conservation de caractéristiques juvéniles chez les adultes d’une espèce, ndlr), avec ses grands yeux, un grand front, sa petite tête ronde, des pommettes rebondies. On est prédisposé à les trouver beaux, comme de petits enfants. Au-delà, regarder des images de chats aurait un haut pouvoir de concentration. Donc, quand on a du mal à entamer un projet, regarder ces félins rendrait ensuite la tâche plus aisée !

Cela expliquerait-il le fait que beaucoup d’écrivains préfèrent avoir des chats ?

Ces derniers sont des muses pour plusieurs raisons. Le chat garde un aspect incontrôlable, mystérieux, ce qui est très enivrant pour laisser vagabonder son esprit. Et trouver l’inspiration pour s’évader… comme le chat ! Regarder celui-ci nous ramène aussi à l’instant présent en profitant de petites choses.

D’où le nombre grandissant de bars à chats, librairies ou cours de yoga avec de petits félins ?

Ils ont un effet très apaisant ! C’est d’autant plus précieux aujourd’hui : les gens ont besoin de se reconnecter à la nature durant des moments hors du temps, afin d’être aussi zen et heureux qu’un chat !

Corinne Masiero : «Une belle leçon de vie !»

Dans «Mon chat & moi, la grande aventure de Rroû», la petite Clémence (Capucine Sainson-Fabresse), qui a adopté un chaton vif et curieux, part pour la campagne après le divorce de ses parents. Au cœur de la forêt et des montagnes, elle croise Madeleine (Corinne Masiero) qui connaît bien la nature.

Êtes-vous autant à l’écoute de la nature que l’est votre personnage ?

Ces dernières années, elle n’a été hélas pas assez présente dans ma vie. Je vais m’installer en forêt avec des potes et prendre plus en considération ce qui nous entoure. J’ai envie d’être au plus près de la nature et de la respecter. On en est plus conscient quand on vit en son cœur.

Madeleine est-elle libre comme un chat ?

Oui, mais pas un chat vivant en appartement. Plutôt un chat de gouttière. Je vois dans ce film la métaphore d’une reconquête du pouvoir et de la liberté, que l’on soit un animal, un homme ou une femme – surtout une femme ! On nous impose tant de choses. Rrôu se bat, quitte à être en grand danger, afin de retrouver son essence première.

Devrions-nous observer davantage les animaux ?

Oui. Ils sont dans l’instant, dans l’instinct, et cherchent à s’éloigner de ce qui ne leur convient pas. Ce sont les bases de la vie : être plus à l’écoute, faire attention à ce que l’on nous donne à manger, construire une société plus juste, se remettre en question globalement et personnellement.

Jouer avec une enfant et des animaux est-il un défi pour une actrice ?

On doit s’adapter en respectant l’autre, d’autant que l’on ne peut pas forcer un môme ou un chat. On doit se mettre en accord avec leur instinct. Cela oblige à mettre son ego en poche, à être humble. J’ai deux chats dont un très vieux avec des problèmes de santé, eh bien je m’adapte ! C’est toujours une belle leçon de vie !

Un peu d’histoire…

Selon Jessica Serra, «on a longtemps pensé que la présence des chats datait de l’ère égyptienne antique, au vu de peintures murales de chats domestiqués. Mais ces petits félins seraient là depuis près de dix mille ans. L’archéologue Jean-Denis Vigne a découvert en 2004, à Chypre, la sépulture d’un homme et d’un chat. Or, Chypre est une île. Donc le chat aurait été importé volontairement. Cette tombe est émouvante car elle témoigne déjà du lien entre humains et félins, voici 9.500 ans.»

Cet article est paru dans le Télépro du 13 avril 2023

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