«J’ai tué mon mari» (TF1), angoissant thriller en série
Diffusée sur TF1 dès ce jeudi à 23h15, cette sombre mini-série, produite en 2021, traite de la violence sourde au sein du couple. Rencontre avec le réalisateur Rémy Binisti et les deux acteurs principaux, Érika Sainte et Antoine Gouy.
Anna, sous l’emprise de son mari violent depuis plusieurs années, commet l’irréparable lors d’une énième dispute. Le jour de son inculpation, sa vie bascule une nouvelle fois quand elle découvre qu’il est toujours en vie et que leur fils est en danger. Elle n’a alors plus d’autre choix que de s’évader.
Tel est le pitch de cette fiction déclinée en six épisodes produite par le scénariste et producteur Henri Debeurme pour 13ème Rue, dont le premier épisode est à découvrir (ou revoir) sur TF1 ce jeudi à 23.15. Les six épisodes sont également disponibles en streaming, gratuitement, sur TF1+.
Rémy Binisti, quel est le thème de cette fiction ?
Ce thriller «pulp» (ndlr : genre littéraire qui présente des histoires avec une abondance de crimes violents, de sauvagerie et de situations macabres) traite d’un sujet dramatique maintes fois adapté au cinéma et à la télévision. J’ai souhaité y apporter quelque chose de personnel et d’impacter les spectateurs à ma manière.
Qu’est-ce qui différencie votre projet de tous les autres ?
R.B. : Un des éléments qui m’ont intéressé dans la série est de parler de l’illusion, de la manière dont elle fait partie de notre vie, de notre société et surtout comment elle prend corps. Manuel (Antoine Gouy) donne l’impression que c’est un type bien, alors que dans la réalité, il ne l’est pas du tout. Tandis qu’Anna (Érika Sainte) donne le change en société, par réflexe ou protection, alors qu’à l’intérieur, elle est détruite. Ce « bouclier » psychologique finit par la rendre de plus en plus confuse au fil des épisodes.
Comment est né ce projet original ?
R.B. Au départ, c’est le producteur Henri Debeurme qui a écrit l’intrigue. Un jour, une amie très proche lui a raconté son histoire, dont il n’avait absolument pas conscience. Il s’est dit qu’il fallait trouver un moyen de la raconter. Il a ensuite imaginé une série avec des personnages féminins forts, différents de ce qu’on voit d’habitude dans les séries françaises ; de proposer un vrai thriller, avec plus d’action qu’un thriller psychologique classique. Il m’a ainsi proposé la réalisation de cette mini-série. Comme j’avais aussi été témoin de certaines choses, je les ai ajoutées au projet. L’important était de lui donner un caractère très réaliste.
Antoine Gouy, cela doit être un défi d’interpréter un type aussi toxique que Manuel…
Incarner un monstre du quotidien, un pervers narcissique, c’est très intéressant pour un comédien. C’est cathartique de s’emparer de ces sujets. D’abord on sait que l’on fait semblant mais on « joue » aussi à se faire peur. Le fait de jouer ces scènes, qu’on a peut-être observées dans nos vies, qui nous ont peut-être aussi traumatisés, de les rejouer, d’en décrypter tous les mécanismes… est assez libérateur, voire thérapeutique. Pour l’acteur, c’est intéressant d’entrer dans cette noirceur, de se faire peur et d’essayer de comprendre la psychologie de ces gens-là.
Et vous, Érika, quel a été votre état d’esprit ?
Mon personnage a fait le trajet inverse. Il apparaît d’abord très enfermé puis va progressivement se libérer. Au-delà du sujet sur la maltraitance des femmes, on aborde aussi le thème sous un angle ludique, comme si on proposait presque un mode d’emploi pour se libérer d’un schéma traumatique emprisonnant la victime. C’est intéressant et très ludique. L’équipe a osé, dans la réalisation, choisir une couleur par épisode : thriller, western, pulp, action… Et tout au long de l’intrigue, on n’arrête pas de se dire « On joue à » tout en racontant une histoire difficile, compliquée.
Comptez-vous, dans votre entourage proche, des personnes qui vivent ou ont vécu cette épouvantable expérience ?
E.S. :Hélas oui. Si on a cinq copines en couple, au moins une d’entre elles vit ce calvaire. Et je crains fort d’être encore en-dessous de la vérité. La question devrait être : « Les détectez-vous ou pas ? ».
A.G. : Ça ne va pas jusqu’aux agressions physiques, mais des micro-agressions morales qui sont tout aussi oppressantes. Le système permet cela. Retrouvons un mode de fonctionnement du couple un peu plus sain et équilibré.
Érika, avez-vous déjà été victime vous-même d’un comportement qui vous a mis mal à l’aise ?
Voici quelques années, je me rends à une soirée «cinéma» avec un ami. Un producteur arrive, me prend par la taille… Mon ami me regarde et me demande : «C’est OK, ça ?». C’est alors que je me suis posé la question. Et je me suis rendu compte que j’avais intégré l’idée d’accepter ce type de comportement. Et pourtant, non, ce n’est pas OK. Certes, ce n’était pas grave – une main sur la hanche – mais ce n’est tout de même pas respectueux. De plus en plus, on réalise qu’il est important de demander aux autres si nos gestes de familiarité ne sont pas gênants pour eux…
Trouvez-vous, comme une frange de la population, que le mouvement #metoo va trop loin ?
E.S. : Je trouve que le mouvement #metoo n’a rien d’excessif. En ce qui me concerne, je n’ai jamais dit à quelqu’un «Tu ne peux pas dire ça». Par contre, je peux faire remarquer : «C’est problématique ce que tu me dis, parlons-en»… Je n’ai jamais envoyé balader quelqu’un qui me dit bonjour ou m’adresse la parole. Par contre, sa main au c…, il peut se la garder.
A.G. : Je trouve ce mouvement plus que nécessaire. Enfin, on fait sauter les verrous qui empêchaient les victimes de parler et de dénoncer ces comportements abusifs, inacceptables. Maintenant, il va falloir retrouver un terrain d’entente entre hommes et femmes pour qu’ils puissent se comprendre. Je reviens sur l’exemple d’Erika et de la main sur sa hanche. Cet homme a sans doute l’habitude de se comporter ainsi avec les femmes, c’est sans doute pour lui une familiarité qui n’a rien d’irrespectueux. La question aujourd’hui est : «Comment retrouver un moyen de se parler, d’échanger, tout en se respectant mutuellement». Ça passe par cette révolution qui présente évidemment des aspects excessifs. Mais c’est un passage obligé…
Interview : Christiane Grifnée
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