Histoire : l’inoubliable tour du monde des ACM
Entre 1915 et 1918, plus de trois cents militaires belges combattent sur le front russe, avant de faire le tour du globe pour rentrer au pays.
«J’ai publié des poèmes, des nouvelles, des chroniques, des romans, mais mon meilleur récit, je ne l’ai pas créé, je l’ai vécu», témoignait, en 1965, le politicien et écrivain belge Marcel Thiry (1897-1977). Il racontait alors son aventure vécue cinquante ans plus tôt. Un épisode étonnant de la Grande Guerre, dont «Retour aux sources» fait le récit (samedi 20.35, La Trois).
Cette histoire incroyable commence au début de l’année 1915. La Belgique est alors occupée par les Allemands et le major Collon, attaché militaire belge à Paris, propose au roi Albert Ier la création d’un corps d’élite, qui conduirait de nouvelles automobiles munies d’un canon ou d’une mitrailleuse. Rapidement, des volontaires – pour la plupart très jeunes – se présentent, excités par la mission qui doit les occuper en France et en Belgique. Le Corps expéditionnaire des Auto-Canons-Mitrailleuses (ou ACM) est né.
Engagés par le Tsar
Alors que l’unité demeure à l’arrière du front de l’Yser – ses véhicules blindés n’étant pas adaptés au terrain humide -, des officiers russes, en visite, sont impressionnés par ces engins. Il n’en faut pas plus pour que les ACM soient engagés au service du… Tsar ! En septembre, les 361 militaires, leur matériel et leurs engins (dont douze blindés Minerva) embarquent à Brest, en direction d’Arkhangelsk (en Russie). Parmi eux, le poète wallon Marcel Thiry et son frère Oscar ; Henri Herd, dit «Constant le Marin», champion du Monde de lutte dans l’entre-deux-guerres ; Julien Lahaut, futur président du parti communiste ; et Théo Halleux, l’un des membres fondateurs du Standard de Liège.
Après une rencontre avec le tsar Nicolas II à Petrograd, l’unité belge rejoint le front. Jusqu’en septembre 1917, elle combat avec les troupes russes contre les forces allemandes et austro-hongroises en Galicie (dans l’actuelle Ukraine), participant notamment à l’offensive Broussilov. Mais à l’exaltation de l’aventure succède rapidement l’horreur de la guerre. Les soldats belges découvrent la dure réalité des tranchées et se frottent à la mort : quinze d’entre eux perdent la vie et quarante sont blessés.
Direction Vladivostok
À partir de 1917, au conflit mondial qui ravage le Vieux Continent, s’ajoute la révolution russe. La guerre civile qui s’ensuit contraint le corps ACM à quitter la Russie. Mais la voie vers l’ouest étant coupée, la troupe belge n’a d’autre choix que de faire route vers l’est. À bord du Transsibérien, elle dépasse l’Oural, le lac Baïkal et traverse l’immense Sibérie. Puis, un train chinois la mène à Harbin, capitale de la Mandchourie, avant d’atteindre Vladivostok.
Après 10.000 km et 62 jours de train, c’est parti pour une traversée du Pacifique de 18 jours à bord d’un transporteur américain, le Sheridan. Après leur arrivée en héros dans le port de San Francisco, les ACM entament un périple à travers les États-Unis : Sacramento, Reno, Salt Lake City, Ogden, Cheyenne, Omaha, Des Moines, Chicago, Détroit, Buffalo et, enfin, New York. Chaque étape donne lieu à des réceptions et des défilés en armes dans les rues.
Après la traversée de l’Atlantique, les soldats belges bouclent leur incroyable tour du monde et rejoignent la France en juin 1918, près de trois ans après leur départ de Brest. Le corps des ACM est alors dissous.
«Parti vers l’inconnu à 18 ans, j’ai rencontré la peur, l’ennui, la mort, mais aussi l’aventure, la découverte et la fraternité», se souvenait le poète Marcel Thiry, avouant avoir passé «1.005 jours d’exaltation et de bonheur à travers pourtant une des plus grandes tragédies de l’Histoire, la Première Guerre mondiale.»
Cet article est paru dans le Télépro du 9/3/2023
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