Gérard Rogge («Devoir d’enquête») : «L’affaire des tueurs du Brabant est un échec»

Gérard Rogge («Devoir d'enquête») : «L'affaire des tueurs du Brabant est un échec»
Julien Vandevenne
Julien Vandevenne Rédacteur en chef adjoint

Avec René Haquin, feu journaliste du Soir, Gérard Rogge est sans doute celui qui a le mieux suivi l’affaire des tueries du Brabant dans son entièreté et sa complexité. À l’occasion d’un «Devoir d’enquête» spécial ce mercredi à 20.25 sur La Une, Télépro l’a rencontré.

Quel sera le contenu de ce numéro spécial de «Devoir d’enquête» ?

On a voulu faire le point de l’enquête à un an de la prescritpion. Est-ce qu’on a encore une chance de trouver le fin mot de l’histoire ? Est-ce que les pistes que l’on a, mèneront quelque part ? On a eu beaucoup d’espoirs sur les derniers rebondissements, avec l’affaire Jean-Marie Tinck. Qui au final a fait un flop… Nous aurons le témoignage en plateau du procureur général de Liège, Christian De Valkeneer, qui a conservé l’enquête malgré qu’il ne soit plus en fonction à Charleroi.

Que sait-on des tueries du Brabant ?

Ce n’est pas du terrorisme, ni de la déstabilisation de l’Etat. C’est du banditisme violent avec comme but, le vol. Cette histoire débute avec les premiers vols à Maubeuge où on dérobe du champagne, des vins fins… Là, ils se retrouvent confrontés aux policiers, et les voleurs s’enfuient avec plein de victuailles de luxe. Plus tard, les choses deviennent plus macabres, et on va tuer des gens qui se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment… Il y aura un concierge de l’auberge de Beersel pour du champagne, ou encore un chauffeur de taxi. De là, les attaques et les braquages vont aller crescendo. Le pic sera en 1985, où il y aura 17 morts en l’espace de 3 attaques. À l’époque des experts québécois qui avaient l’habitude de ce genre d’enquêtes, et qui utilisent des méthodes de «profiling», ainsi que des criminologues français, se sont penchés sur le dossier. Et tous sont d’accord pour dire que c’est du banditisme «ordinaire» malgré la violence extrême. On fait même parfois un rapprochement avec la violence gratuite que l’on dépeint dans le film «Orange mécanique».

D’où vient cet intérêt pour ce fait divers sanglant ?

C’est né le jour de l’attaque du Colruyt de Nivelles, en septembre 1983 . Avant cela, les méfaits de la bande n’étaient pas très spectaculaires, et on en parlait peu. Le lendemain, j’entends mes voisins qui discutent avec le père d’un policier de Braine-L’Alleud, de tueurs, de morts, de crimes… En fait, les malfrats avaient abattu un gendarme et deux civils. C’est la première fois que l’on a parlé de tueurs fous. Ayant entendu ça, j’ai demandé ce qu’il se passait. C’est comme ça, que j’ai été au courant de l’attaque qui a eu le plus d’impact.

Est-ce que passer d’un délai de prescription de 30 à 40 ans va faire évoluer les choses ?

C’est ce que tout le monde espère ! Moralement, il serait très dommage que les auteurs ne soient pas punis. Après 40 ans, par rapport à la dernière attaque de 1985, que pourra-t-on trouver ? Déjà aujourd’hui, on a toutes les peines du monde à recoller les morceaux. Et quand bien même on aurait un suspect «sérieux», encore faudrait-il avoir des preuves et des témoignages suffisants pour obtenir une condamnation d’un jury. Les jurés ne condamnent pas sur la bonne mine, mais il faut des éléments matériels qui inculpent véritablement la personne. Si on a instauré une prescription, c’est justement parce que le législateur estime qu’après 20 ou 30 ans, il est impossible de véritablement présenter un dossier sérieux à des jurés, lors d’un procès. Je n’ai pas le sentiment aujourd’hui, que nous soyons près de la vérité. Ceux qui dirigent l’enquête font pourtant leur possible.

L’affaire restera une grande énigme judiciaire belge ?

À l’approche de la prescription, des langues pourraient peut-être se délier : celles des personnes de l’entourage des tueurs, et qui n’auraient pas une responsabilité directe dans l’affaire. C’est un voeu pieu. Il y a déjà eu des procès d’Assises pour des faits périphériques aux tueurs du Brabant. En 1988, les «Borains» sont passés devant le tribunal, et ont été acquittés faute de preuve. La seule preuve était une arme qui aurait servi dans les braquages. Et en fait, elle n’a jamais servi du tout… Cette époque a d’ailleurs aussi montré les dysfonctionnements de la Justice.

Est-ce qu’en tant que journaliste, votre investigation a (aurait) pu apporter d’autres preuves ?

Très sincèrement, non. Pour tout le monde, l’affaire des tueurs du Brabant est un échec. Ce n’est pas parce que Jean-Marie Tinck est toujours inculpé que les choses vont bouger. Pour le reste, on revient sur des pistes qui ont déjà fait l’objet d’une enquête, il y a une vingtaine d’années, comme celle de l’extrême-droite et Eric Lammers. Les enquêteurs pensent qu’ils sont peut-être passés à coté de quelque chose d’important. Jusqu’à présent, on n’obtient pas plus de résultats. J’ai le sentiment, qu’à un moment, on a cherché tous azimuts. Et c’est là l’erreur : on s’est un peu trop éparpillé, en ne partant pas des faits, mais plutôt des hypothèses comme la piste des ballets roses, etc… On a passé un temps fou sur cette histoire. Contrairement à ce que les gens pensent, on a beaucoup travaillé sur les tueries du Brabant, et on ne peut pas dire que des pistes ont été écartées. On a essayé de trouver, mais on n’a pas trouvé, et on a été tenté d’échafauder des scénarios un peu loufoques comme la piste du KGB qui voulait déstabiliser le pays. On est allé enquêter sur la Stasi, en Allemagne de l’Est, lorsque le Mur de Berlin est tombé. La Sûreté de l’Etat a aussi fait l’objet d’une investigation.

C’est votre dernière grande enquête pour le programme ?

Non, nous allons nous remettre bientôt au travail pour la commémoration des 20 ans de la disparition de Julie et de Mélissa, en 2016. On ne sait pas encore si on fera un numéro spécial aussi.

Entretien : Pierre Bertinchamps

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