Femmes et fiction : la guerre des modèles…

En 2017, «Wonder Woman» offre à l’actrice Gal Gadot l’occasion d’aller au-delà du cliché de la super-héroïne purement sexy... © Warner Bros.

Outre les stéréotypes raciaux qui ont encore, hélas, la vie dure à l’écran, un autre type de caricature perdure dans la fiction sans que l’on s’en rende vraiment compte : les personnages féminins.

Oui, les films et séries ont changé en incluant, au fil des ans, plus d’héroïnes enfin sorties de derrière leurs fourneaux ou de la vapeur de leur buanderie. Mais même dans des rôles plus forts, quasi masculinisés, elles n’ont pas encore toute la latitude pour que le spectateur, quel que soit son genre et son âge, puisse se projeter dans leurs aventures en partageant et surtout en comprenant pleinement leur ressenti. Un état des lieux qui n’est pas fleur bleue.

«Female Gaze», un certain regard…

Aux États-Unis, berceau de nouvelles tendances qui arrivent souvent plus tard sur le continent européen, une association nommée Common Sense Media surveille la façon dont les héros de fiction sont mis en scène, en soulignant les détails positifs : la tolérance face à la différence, le courage, l’entraide, l’ouverture d’esprit qui combat les préjugés, etc. Depuis quelques années, elle observe un autre élément : la représentation du genre féminin. Dans certains films, les rôles innovants, parce que non conventionnels et progressistes, sont évidents : «Les Figures de l’ombre» (2016) donnent enfin la parole aux femmes scientifiques noires, «Wonder Woman» version 2017 offre à l’actrice Gal Gadot l’occasion d’aller au-delà du cliché de la super-héroïne purement sexy, et «Portrait de la jeune fille en feu» (2019) décrit toutes les facettes de la vie des femmes plutôt que de se focaliser sur leur nudité.

Les spécialistes ès fictions donnent à ces œuvres le label de «female gaze» (le regard féminin) car à travers les regards, actes et paroles, elles proposent de regarder une situation telle qu’une femme la voit et la ressent.

© ISOPIX

Lutte contre les clichés

Iris Brey, docteure franco-américaine en études cinématographiques et littéraires, diplômée de l’Université de New York, explique à Marie-Claire : «Le female gaze traduit à l’écran l’expérience féminine dans sa pluralité et lutte ainsi contre les clichés sexistes. (…) C’est un regard qui nous fait éprouver l’expérience d’un corps féminin en adoptant le point de vue d’un personnage de femme, pour épouser son expérience et arrêter de la regarder de loin.»

Anatomie des séries

Mais selon Iris, les réalisateurs, hommes ou femmes, emploient encore peu ce procédé «parce que dans notre société, l’expérience du féminin est toujours perçue comme moins intéressante.» Et de préciser dans Elle : «Regarder l’héroïne avec moins de distance et être habité par ce qu’elle traverse reste encore subversif. Certains hommes ont du mal à aller voir les films centrés sur une héroïne parce que cela ne les intéresse pas, alors que les femmes, en revanche, n’ont aucun mal à s’identifier à un héros masculin ! Il est temps que ça change.»

Sortir des archétypes

Si on ne peut parler que de léger frémissement dans les productions francophones, les créations américaines sont, elles, en bonne voie. Des «showrunners» comme Shonda Rhimes ont osé innover. Dans «Grey’s Anatomy», dont Rhimes a accouché en 2005, les confidences et commentaires en voix off sont ceux d’une femme médecin, Meredith Grey. Outre l’inclusion d’autres «minorités» dont des protagonistes gays, autistes, blacks ou asiatiques (avec la pétulante Cristina Yang, jouée par Sandra Oh), le public a enfin découvert les coulisses d’un hôpital du point de vue d’une femme. «La Servante écarlate», «Fleabag» ou «Lady Bird» sont aussi une opportunité d’entrer dans la tête de chaque héroïne.

Ont aussi persévéré dans la voie du non-conventionnel, «Girls», «Orange is the New Black», «Transparent» et «How To Get Away With Murder». Iris Brey s’en félicite dans le magazine Terrafemina : «On y voit des personnages féminins qui font des erreurs, sont vulnérables, et ne sont pas du tout stéréotypés, car ils sortent des archétypes qu’on pouvait encore avoir dans les années 1990 avec «Sex and the City».

© Netflix

Pas d’objectification

Le cinéma s’attelle également au changement, même si une œuvre féminisée telle «Ocean’s 8» (avec Sandra Bullock) n’est que le copier-coller de sa version masculine «Ocean’s 11» et que les habits sexy des huit aventurières détournent encore les yeux du public vers leur corps au lieu de focaliser son attention sur leur stratégie et leur «sororité», clés pour réussir un audacieux braquage. Quant à «Wonder Woman», également moulée dans son costume, elle bénéficie d’une mise en scène plus valorisante. «Quand Diana se transforme en Wonder Woman, son apparition est filmée d’une manière opposée à celle de la James Bond girl : au lieu d’un panoramique de haut en bas qui flatterait son corps, on la voit littéralement sortir de terre», note Iris Brey. «Elle entre dans le cadre par sa propre force et n’est à aucun moment réduite au rang d’objet. Quant aux gros plans, ils ne montrent pas ses fesses mais son lasso, ses bottes. Le plaisir que l’on éprouve dans cette scène est lié au sentiment de sa toute-puissance.»

Radical et puissant

Au grand comme au petit écran, il y a encore du chemin à parcourir. La preuve la plus flagrante de la petite lucarne est «Game of Thrones» : «On en a parlé comme d’une série féministe, représentant des femmes de pouvoir. Or, elle prend un plaisir voyeuriste à filmer le viol de ses héroïnes. Ce n’est pas parce qu’une série met en scène des héroïnes puissantes qu’elle est féministe. Dans cette saga, il y a un manque de réflexion sur la façon de filmer les scènes intimes qui s’appuient sur des femmes-objets. Les messages de la série nous parviennent un peu brouillés, car les réalisateurs eux-mêmes ont expliqué dans des interviews qu’ils ne savaient pas s’ils étaient ou non en train de filmer une scène de viol !»

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La parité en intérim

Quant au 7e art, le nouveau James Bond, «Mourir peut attendre», attise les curiosités. Des indiscrétions ont en effet révélé qu’une femme noire, interprétée par l’actrice britannique Lashana Lynch, camperait le prochain 007. Cette annonce a valu à Lynch un tsunami d’insultes racistes et sexistes, mais elle a tenu bon, se disant fière de jouer l’espionne Nomi et de casser deux stéréotypes majeurs concernant les «minorités» féminines et noires.

Toutefois, à lire le scénario, il est à noter que Nomi, son personnage, prendra le matricule 007 en l’absence momentanée de James Bond-Daniel Craig, parti quelque temps en Jamaïque. Lashana ne sera donc un intrépide agent secret que par intérim…

Cet article est paru dans le Télépro du 13/05/2021.

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