Émilie Aubry (Arte), passeuse de savoir !

Émilie Aubry : «L’émission ne s’interdit ni une région ni une problématique !» © Arte/Bertrand Noël
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

Depuis trente ans, Arte décrypte la géopolitique mondiale à travers des cartes. Qu’y a-t-il donc sous le planisphère ?

Chaque samedi, à 19.30 sur Arte, «Le Dessous des cartes» décortique le monde. En douze minutes, vous voici mieux informés sur notre époque, l’origine des conflits, des alliances, des rancunes… actuels. L’émission est apparue en 1990 sur La Sept (le berceau français d’Arte) sous l’impulsion de l’ethnologue et chercheur Jean-Christophe Victor. À sa disparition, en 2017, la chaîne culturelle a passé le flambeau à la journaliste Émilie Aubry.

Émilie Aubry, en quoi «Le Dessous des cartes» a changé en trente ans ?

Au décès de Jean-Christophe Victor, la chaîne a hésité à poursuivre l’émission tant elle lui était indissociable. La demande du public était néanmoins si forte qu’Arte l’a maintenue, mais en s’interrogeant sur la succession : soit quelqu’un qui corresponde à Jean-Christophe, soit un homme universitaire de sa génération, soit une femme plus jeune qui n’était pas issue du sérail universitaire, mais journaliste. Ce choix était risqué et la responsabilité écrasante pour moi. «Le Dessous des cartes» est devenu plus proche de l’actualité, plus pédagogique. Je joue le rôle de passeuse qui donne à voir et à comprendre.

Comment choisissez-vous les sujets ?

Nous ne surfons pas sur l’actualité, mais nous nous posons des questions à son propos pour dégager les grandes lignes de partage du monde actuel, pour rendre compte des grandes évolutions géopolitiques. Nous tenons compte, aussi, du goût des téléspectateurs d’Arte pour le voyage. Nous leur faisons découvrir des pays plus singuliers comme l’Islande ou le Chili. Enfin, il y a les sujets «transversaux» qui permettent des balades sur le planisphère au travers d’un objet ou d’un produit de grande consommation (le café, le chocolat, le blé…).

Quels sont les sujets prévus cette année ?

Nous nous intéressons à toutes les parties du globe, même s’il reste des zones mystérieuses ou complexes, voire «secret-défense». L’émission ne s’interdit ni une région ni une problématique. Nous pourrions même envisager une thématique sur Mars, tant les enjeux étatiques autour de cette planète deviennent importants.

Vous faites de l’anti-fake news…

Nous vivons de plus en plus des «guerres de récits», où chacun accuse l’autre de propager des vérités alternatives. Travailler sur cartes, avec des chiffres et citer nos sources est rassurant pour le public. C’est une promesse tenue depuis trente ans, même si la première émission ne ressemble pas à la toute dernière diffusée. Cet anti-«fake news» est une des raisons du maintien du «Dessous des cartes» sur Arte.

Quelques cartes, une voix off… «Le Dessous des cartes» est-il un programme low cost ?

C’est un dialogue singulier entre le monde de la recherche et le monde de la télévision. Nous demandons à un chercheur une note de 20.000 signes et les cartes qui vont avec. Le texte est transformé pour la télévision. Ensuite, il faut reproduire les cartes, et c’est là que le budget explose quand il s’agit de réaliser 12 minutes d’animation avec des cartographes et des graphistes. Chaque numéro demande trois à cinq semaines de production.

Cet article est paru dans le Télépro du 26/5/2022

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