De si séduisants méchants !

«Pour jouer un méchant de manière convaincante, vous devez comprendre ce qui le motive», souligne Emma Stone, qui, en 2021, campe une Cruella d’enfer © Disney Enterprises

Ils sont odieux, effrayants, révoltants. Beaucoup sont devenus iconiques malgré leurs répliques et sourires machiavéliques. Pourquoi les méchants nous séduisent-ils autant que les bons héros, voire plus ?

Des premiers méchants de l’écran, dont Nosferatu, Dracula ou Frankenstein, aux désormais classiques Dark Vador ou Joker, en passant par des figures plus contemporaines, les héros cruels font peur un peu, beaucoup ou passionnément. Et même à la folie pour les fans. Ainsi que pour maints cinéastes et acteurs. Car, sans ennemi éminemment menaçant, il n’y aurait ni histoire captivante, ni héros positifs ! Aujourd’hui, ces derniers sont parfois même absents de l’aventure, le récit étant entièrement consacré au vilain. Non seulement celui-ci est-il très intéressant à jouer, mais également à décoder. Lui aussi ayant des failles et des défauts.

De bonne (mauvaise) foi

«Il y a quelque chose de séduisant chez Cruella parce qu’elle est elle-même», assure Emma Stone, jeudi soir à l’affiche, sur RTL tvi, du film éponyme inédit, axé sur la vilaine des «101 dalmatiens». «Ce rôle est si amusant à incarner !», confie l’actrice à Fatherly. «Cruella a ses travers, mais en fait sa force ! Pour jouer un méchant de manière convaincante, vous devez comprendre ce qui le motive. Je ne serais pas capable de le jouer si je pensais qu’il est juste méchant. Croyez-vous que quelqu’un se contente d’être détestable ? Non, il a certaines conceptions et pense qu’il a raison !» Le grand Anthony Hopkins a lui aussi eu beaucoup de plaisir à interpréter des protagonistes abominables. D’abord abonné à des rôles sans trop de relief, l’acteur britannique est devenu célèbre en campant, dans «Le Silence des agneaux» (1991), Hannibal Lecter, ex-psychiatre devenu psychopathe, incarcéré après avoir tué et dégusté certains patients.

Délectable Lecter

Pourtant, la totalité de son interprétation dure moins de 25 minutes. Preuve qu’au-delà de ses forfaits, un méchant peut injecter une touche spéciale à l’intrigue. C’est même souvent lui à qui sont réservées les répliques les plus efficaces et les plus fines.

Avec sa prestation, Anthony Hopkins a cloué les spectateurs d’effroi dans leurs fauteuils et remporté l’Oscar du Meilleur acteur. Le rôle a changé la carrière de cet artiste d’école shakespearienne qui a accepté le scénario car il s’ennuyait entre deux pièces ! «La meilleure chose à propos de ce film ? Il m’a fait sortir du théâtre !», plaisante le comédien. «Le tournage fut juste un peu difficile : je n’ai pas pu déjeuner avec Jodie Foster (Clarisse Starling), j’étais tout le temps enfermé dans ma cage !»

Comme lui, son compatriote, feu Alan Rickman s’est fait une spécialité des registres inquiétants : l’arrogant Hans Gruber dans «Piège de cristal» (1988), le juge Turpin dans «Sweeney Tood : le diabolique Barbier de Fleet Street» (2007) et l’emblématique Severus Rogue dans «Harry Potter». Chacun de ces intrigants est si charismatique que l’on ne sait plus si cette qualité magnétique vient de son ignominie ou du talent de l’acteur.

Attachants monstres

Lorsque le petit écran s’est aussi mis à table avec des sociopathes au menu, les audiences ont fait des bonds. L’ancêtre de «Dr House» ou Walter White («Breaking Bad») fut le fameux J.R. Ewing, alias Larry Hagman dans la série «Dallas». Passionnément détesté par les gens – sa statue de cire (au musée Madame Tussauds à Londres) fut attaquée à coups de griffures -, le businessman texan a pu juger de sa notoriété lorsqu’à la fin de la saison 3 (1980), quelqu’un eut envie de le tuer. Bien que la presse US ait titré «Qui a tiré sur J.R. ?», la question qui taraudait le public fut : «Est-il mort ou pas ?». Et selon les sondages, son improbable décès aurait fait de la peine à une majorité de spectateurs ! Aujourd’hui, grâce à leur complexité, les indésirables continuent de susciter cette même empathie. Dans «Joker» (2019), Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) bouleverse par sa folie, résultant de nombreux traumatismes.

Mystères et maléfices

Les personnages féminins a priori mal intentionnés cachent aussi énigmes et failles. La glaçante Miranda Pristly, superbement incarnée par Meryl Streep dans «Le Diable s’habille en Prada», se montre, un jour, défaite et en larmes à sa stagiaire (Anne Hathaway). Être dans la peau d’une méchante peut marquer leurs interprètes. Angelina Jolie, merveilleuse «Maléfique» (2014 et 2019), a été vampirisée : «C’est l’un des personnages les plus difficiles que j’aie jamais joués car elle représente tous les aspects de ce qu’est un être humain, même si elle ne l’est pas !» Dakota Johnson, elle, a mis du temps à se débarrasser de Susie Bannion, héroïne de «Suspiria» : «J’ai dû suivre une thérapie. J’absorbe les sentiments des gens. Quand on travaille sur un sujet sombre, cela peut rester avec vous.» Et avec le public.

De très bons amis fictifs

Pourquoi nourrit-on parfois de la sympathie envers des personnages ignobles ? Selon les experts, ceux-ci sont attractifs car ils assument ce qu’ils sont, ne se font aucune illusion sur leur bonté et vivent donc librement, sans contraintes ni obligations… Vous adorez Cruella ou Dark Vador ? Pas de panique ! Les scientifiques qui se sont penchés avec minutie sur la question pensent que se trouver des similitudes avec le méchant d’une histoire ne menace pas notre «moi» comme le feraient des indésirables dans la vie réelle.

Nos faces sombres

«La fiction offre un moyen d’aborder les aspects sombres de notre personnalité sans pour autant nous faire douter que l’on est une bonne personne en général», assure Rebecca Krause, doctorante à la Northwestern University qui, avec son coauteur et conseiller Derek Rucker, a publié une étude dans la revue Psychological Science. «Les gens veulent bien sûr se voir sous un jour positif. Se découvrir des similitudes avec une mauvaise personne peut donc être inconfortable. Mais placer cette entité effrayante dans un contexte fictif peut supprimer cet inconfort parce que l’éloignement avec la réalité atténue les sentiments coupables.»

Filet de sécurité

Les vilains peuvent alors être autant appréciés que des héros positifs dans lesquels on a l’habitude de se projeter avec plaisir. «Lorsque vous n’êtes plus mal à l’aise face à la comparaison avec un méchant, il semble y avoir quelque chose de séduisant et d’attirant à se trouver des points communs avec lui», poursuit Rebecca Krause. «Par exemple, les personnes qui pensent être un peu fragiles ou instables peuvent se sentir particulièrement attirées par le personnage du Joker et celles ayant un intellect aiguisé et une forte ambition le seront par Voldemort.» Ces recherches suggèrent que «quand les gens se sentent protégés par le voile de la fiction, les mondes fictifs peuvent offrir un «refuge» où ils peuvent se laisser aller à aimer sans honte un être diabolique qui leur servira d’exutoire. En termes psychologiques, il s’agit d’un filet de sécurité cognitif.»

Cet article est paru dans le 27/04/2023

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