Charles Berling : «Une grande audace !»
Dans le téléfilm «L’Enchanteur» ce lundi à 21h10 sur France 2, il incarne Romain Gary, alias Émile Ajar, seul écrivain à avoir remporté le prix Goncourt à deux reprises.
«L’Enchanteur» retrace une imposture littéraire hors du commun. En 1975, l’écrivain français Romain Gary (1914-1980) décrochait un deuxième prix Goncourt avec le roman «La Vie devant soi», publié sous le nom d’Émile Ajar. La supercherie ne sera dévoilée qu’après le suicide de l’auteur, incarné ici par Charles Berling (65 ans).
Que pensez-vous du scandale provoqué par le roman «La Vie devant soi» ?
Il me surprend encore aujourd’hui. À mes yeux, se cacher derrière un autre patronyme est un geste éminemment poétique. Sous le regard des autres, en tant que Romain Gary, il traversait une situation difficile. Pour rebondir, il a eu l’idée géniale de se réinventer sous les traits d’un autre personnage. Certains se sont sentis offensés par cette démarche et lui en tiennent rigueur. Je n’en fais pas partie. En allant jusqu’au bout de son subterfuge, il a fait preuve d’une grande audace.
Pourquoi avoir accepté de l’incarner ?
J’adore cet auteur et ce qui m’a convaincu, malgré un emploi du temps déjà surchargé, c’est la qualité exceptionnelle du scénario écrit par deux jeunes gens férus de l’œuvre de Romain Gary. Cette curiosité exprimée par les nouvelles générations prouve que ses livres perdurent dans le temps et j’en suis ravi.
Comment avez-vous trouvé la vérité de cet homme aux multiples facettes ?
Revêtir différentes identités en tant qu’acteur n’empêche nullement d’être en quête d’une profonde vérité. C’était un peu le cas de Romain Gary qui, en devenant successivement aviateur, écrivain et diplomate, cherchait sa propre vérité. C’était un homme fidèle à des valeurs profondes. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il était loin d’être futile, léger ou opportuniste. D’ailleurs, il n’a pas hésité à défendre ses convictions personnelles au péril de sa vie (il a combattu au sein des Forces françaises libres pendant la Seconde Guerre, ndlr). C’était un homme génial qui pouvait aussi faire preuve d’humour et de dérision et savait prendre de la hauteur ainsi qu’une certaine distance. Il avait du talent pour créer des fictions, écrire des livres ou réaliser des films tout en se prenant, parfois, lui-même pour un personnage de fiction.
En tant que comédien, ressentez-vous les mêmes interrogations que Romain Gary ?
Complètement. Incarner d’autres personnes que soi, c’est un vertige, un luxe, un délice, mais en même temps, ce peut être une perdition. Même si c’est très intéressant, c’est aussi compliqué. Sans aller jusqu’aux extrêmes comme il l’a fait, s’inventer une autre identité pose une vraie question métaphysique sur sa réelle personnalité.
Partagez-vous avec lui la crainte de vieillir ?
J’ai non seulement l’angoisse du temps qui passe, mais aussi celle de la mort. Lorsqu’on aime la vie, c’est une vraie frayeur. Sur ce thème, il a d’ailleurs écrit «Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable», un livre prodigieux que j’ai relu récemment. Il réussit le tour de force d’être à la fois dans l’intime d’un homme de 60 ans et celui de la société occidentale.
Qu’est-ce qui vous touche le plus chez Romain Gary ?
Son goût de la vérité et, contrairement à l’époque actuelle, sa fidélité à défendre les valeurs auxquelles il croit profondément. Il a toujours soutenu la démocratie et, à l’époque, sa vision prémonitoire sur l’écologie et l’environnement n’a pas été bien perçue.
Quel est votre roman préféré ?
Je n’aime pas trop hiérarchiser mes choix littéraires, mais j’ai découvert avec un immense plaisir «L’Éducation européenne», son premier roman. Très jeune, ma mère m’a fait lire «Les Promesses de l’aube», mais relire ses livres aujourd’hui m’a rendu très heureux car j’ai le sentiment de mieux le comprendre.
Cet article est paru dans le Télépro du 8/2/2024
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