Ces rôles qui laissent des traces
Le métier de comédien fait partie de ces professions qui font rêver : vivre à chaque tournage une aventure différente, livrer une performance glorifiante… Mais la médaille a son revers. Nombreux sont ces acteurs qui ont gardé des traumatismes liés à un rôle.
Incarner un psychopathe, un tueur en série, le patron d’un camping, un médecin ou la victime des deux premiers exige un important travail de préparation. Comment s’y prennent les acteurs pour être crédibles? Brieuc Dumont, 35 ans, ancien journaliste et aujourd’hui auteur et comédien (diplômé des Cours Florent), commence par se focaliser sur le texte. «Quand la phase de mémorisation est terminée, explique-t-il, je m’attache aux indications du metteur en scène pour annoter mon texte afin de préciser le profil du personnage et enrichir mon jeu. Au fil des répétitions, je procède à de petits ajustements… Il m’arrive aussi de surjouer une scène en toute conscience, en appuyant sur un trait de caractère par exemple, cela m’aide ensuite à composer un personnage plus en nuances.»
Tout jouer ?
Les monstres ne lui font pas peur, Brieuc Dumont reste ouvert à toutes les propositions – il a récemment passé des essais pour un rôle de violeur. «Je parviens à faire abstraction de beaucoup de choses et à maintenir une distance, sur le plan psychologique, entre le personnage et moi. Je fonctionne ainsi, mais ce n’est peut-être pas le cas de tous mes confrères…». En effet, un certain nombre de comédiens ont parfois éprouvé quelques difficultés à se remettre de tour – nages périlleux. Soit parce que le sujet incarné était on ne peut plus perturbant et qu’ils n’ont pas conservé de «distance de sécurité psychologique» suffisante ; soit parce que le metteur en scène a «maltraité» son interprète pour en extraire les émotions souhaitées. Certains en ont gardé des séquelles.
Ça… fait peur
Bill Skarsgård, l’acteur principal du film d’horreur «Ça» d’Andy Muschietti (2017) a bien morflé pendant et après avoir endossé le costume de «Grippe-Sou», cette créature cruelle et maléfique qui émerge des égouts tous les vingt-sept ans pour se nourrir des terreurs des enfants. Le jeune comédien suédois avait expliqué, en 2018, dans une interview au magazine américain Entertainment Weekly que son comporte – ment avait changé durant le tournage. «Le rôle de « Grippe-Sou » ne m’a laissé aucun répit, ni physique, ni psychologique. C’était comme se retrouver dans une relation destructrice !» Qui s’est prolongée un temps après le clap de fin… «J’étais à la maison, j’avais fini le film, et j’ai commencé à faire, presque chaque nuit, des cauchemars très étranges et très « réalistes » de Grippe-Sou. Soit j’avais affaire à lui, soit j’étais lui et me retrouvais dans des situations très pénibles…» Cela n’a toutefois pas dissuadé l’acteur de revêtir le costume du clown pour la suite («Ça : chapitre 2»), tournée deux ans plus tard.
Stress post-dramatique
Mark Seton, chercheur au département d’études théâtrales de l’université de Sydney, a inventé le terme original de «trouble de stress post-dramatique» pour décrire les effets parfois difficiles et durables subis par les comédiens qui se perdent dans un rôle. La plupart des acteurs secondaires qui jouèrent les patients d’un hôpital psychiatrique dans le cultissime «Vol au-dessus d’un nid de coucou» (1975), de Miloš Forman, ont, semble-t-il, vécu à des degrés différents des épisodes «de fragilité mentale». Danny DeVito, notamment, a eu besoin du soutien psycho – logique d’un médecin. Sydney Lassick (1922-2003) devenait, au fil des semaines, de plus en plus imprévisible sur le plan émotionnel. Quand il était dans son personnage, l’équipe constatait de fréquentes crises de larmes. Mais l’un des moments les plus inquiétants s’est produit lors de la scène finale : Lassick a tant sangloté qu’il a fallu l’évacuer du plateau. Dans un registre moins dramatique, Benedict Cumberbatch, Sherlock dans la série télé, a adoré interpréter le célèbre détective anglais. «Il a déteint sur moi», assurait le comédien dans une interview parue le 16 mars 2017 dans les pages du TV Magazine (Le Figaro). «Ma mère m’a fait remarquer que je devenais impatient et brusque comme lui ! Mais il a exercé aussi une influence positive sur moi. J’avais l’impression que mon cerveau développait sa capacité à absorber des informations ou à apprendre quelque chose de nouveau…»
Maigrir/grossir
En plus de la nourriture, Anne Hathaway s’est privée de son mari pour le rôle de Fantine dans «Les Misérables» (Tom Hooper, 2012). Elle s’est isolée à Londres, a travaillé son accent, a perdu près d’une dizaine de kilos, ses cheveux et, un moment, sa joie de vivre. Le retour à la vie normale fut un peu difficile : «J’étais dans un tel état de délabrement – physique et émotionnel – que quand je rentrais chez moi, je ne pouvais pas réagir au chaos du monde sans m’effondrer. Il m’a fallu des semaines pour me sentir à nouveau moi-même.»
George Clooney, lui, a dû prendre une quinzaine de kilos en un mois pour le film d’espionnage «Syriana» (Stephen Gaghan, 2005), une surcharge pondérale à laquelle s’est ajoutée une scène de torture très délicate qui nécessita une vingtaine de prises et se solda par un accident lui abîmant la colonne vertébrale. Au bout d’une année d’atroces maux de tête et de dos, l’acteur est finalement passé sur la table d’opération.
Malcolm McDowell a failli laisser ses yeux dans le tournage du célébrissime «Orange mécanique» de Stanley Kubrick (1971) et plus précisément au cours de la scène où ses paupières sont maintenues ouvertes par des pinces métalliques. L’acteur a souffert d’une blessure de la cornée qui a provoqué une cécité temporaire… Charlize Theron s’est cassé deux dents lors du tournage du film d’action «Atomic Blonde» (David Leitch, 2017). Pour incarner le personnage de Winston Churchill à la perfection dans «Les Heures sombres» (Joe Wright, 2017), Gary Oldman a dû porter à ses lèvres pas moins de quatre cents cigares cubains en deux mois de tournage, qui lui ont déclenché un sérieux empoisonnement à la nicotine.
Réalisateurs «exigeants»
Il est difficile aussi parfois de résister à la pression exercée par des réalisateurs «exigeants». Pour «Possession» (1981), Andrzej Żuławski a tant poussé Isabelle Adjani (et toute l’équipe du film) dans ses retranchements qu’elle a décidé, par la suite, de ne plus jamais travailler dans des conditions aussi toxiques. «Il faut être d’une extrême jeunesse ou antiféministe ou en mal d’exister pour croire au bénéfice de la manipulation et du martyre», confiait-elle, en 2018, dans une interview accordée au magazine Les Inrocks.
Monica Bellucci, pour sa part, ne peut plus regarder la scène de viol, brutale et très crue, dont elle est victime dans «Irréversible» (Gaspar Noé, 2002) qui, pour couronner le tout, a exigé de nombreuses prises…
Le mouvement #Metoo est à l’origine d’un nouveau métier sur les plateaux: le coordinateur d’intimité, chargé de superviser le tournage des scènes de sexe et d’éviter ainsi les dérapages des comédiens ou les comportements abusifs des réalisateurs. Pas trop tôt…
Cet article est paru dans le Télépro du 25/08/2022.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici