Ces films qui ont déjoué tous les pronostics !

Le dernier film Astérix par Guillaume Canet a reçu de nombreuses critiques négatives © Pathé Distribution

Sophie Marceau aurait pu tomber aux oubliettes dès son premier film, Spielberg a été sauvé des eaux par un requin, «Star Wars» a failli ne jamais décoller. Les succès ou échecs du 7e art sont-ils à ce point hasardeux ?

«Astérix et Obélix, l’Empire du milieu» le rappelle actuellement : la recette de la potion magique pour se distinguer au grand écran est bien difficile à trouver. La petite et la grande histoire du 7e art en sont gorgées d’exemples. La critique n’est pas tendre avec le film de Guillaume Canet, qui tient lui-même le rôle d’Astérix. «Le blockbuster (…) est presque intégralement raté», notent Les Inrockuptibles. «La gigaproduction a les épaules bien trop frêles pour cette tâche. (…) Un trop-plein d’idées qui tombent à plat», écrit Libération qui titre «Le pire du milieu». Pourtant, surprise après une semaine en salles et 1.882.686 spectateurs au compteur : le film serait le meilleur démarrage d’une fiction française depuis quinze ans. Dans Le Point, l’écrivain, scénariste et cinéaste Philippe Labro commente: «La critique l’a boudé, mais elle a ignoré qu’avec un film de cette envergure, elle ne joue pas de rôle.»

Trop d’optimisme

Ces chers Gaulois ne sont ni les premiers ni les derniers à avoir perturbé les prévisions et mis à mal les a priori des médias ou des producteurs qui ont hésité à investir dans certaines réalisations. Le classique et célébrissime «La Vie est belle» du grand Frank Capra, doté d’un minibudget (3,18 millions $), est sorti timidement en 1946. Un critique du New York Times écrit : «La faiblesse de ce film est sa sentimentalité, sa conception illusoire de la vie. Les personnages sont charmants, mais la recette pour résoudre les problèmes est facile et trop optimiste !» Une autre œuvre mythique, tournée en noir et blanc afin d’en modérer les coûts, a elle aussi déjoué tous les pronostics en 1960 : «Psychose». Les producteurs n’y croyaient pas. Hitchcock, son réalisateur, tint bon, accepta d’essuyer les pots cassés si la catastrophe devait survenir. Et inscrivit un film mythique au panthéon du 7e art !

Naissance des blockbusters

Le terme blockbuster s’applique d’abord à des films à succès au box-office («Autant en emporte le vent», 1939; «Quo vadis», 1951; «Ben-Hur», 1959), puis a désigné une superproduction à gros budget qui, par sa distribution, ses effets spéciaux ou la campagne de publicité accompagnant sa sortie, attirait l’attention des médias et du public, même si le film s’avérait être un échec financier. Ce fut tout le contraire quand Universal Pictures confia à l’un de ses jeunes cinéastes, Steven Spielberg, la réalisation d’un «petit» film horrifique: «Les Dents de la mer». Nous sommes en 1975. L’élu dépasse le budget de 3,5 millions les 12 millions de dollars prévus. Il a donc intérêt à casser la baraque pour ne pas voir couler sa carrière naissante… La recette atteint les 260 millions $ aux États-Unis et 470 millions $ dans le monde. Un résultat inespéré qui lance le réalisateur. Et inaugure la tradition des blockbusters estivaux, la belle saison devenant, en Amérique, celle des films qui décoiffent.

Briller ou griller

S’ensuivent des poignées de longs métrages, livrés eux aussi aux mystères du flop ou du top. En 1977, George Lucas, qui a dévoilé «Stars Wars» à des amis sans éveiller d’enthousiasme, part en vacances à Hawaï au lieu d’assister à la première, tant il est persuadé que le film passera inaperçu. Le triomphe le tirera de sa léthargie.

En août 1987, le film indépendant «Dirty Dancing» devient le plus lucratif de cette fin de décennie. Dans le documentaire Netflix «The Movies That Made Us», Mitchell Cannold, vice-président de Vestron Productions, se souvient avoir demandé l’avis d’Aaron Russo, gros producteur («Un Fauteuil pour deux», «The Rose»), avant sa sortie. Réponse : «Brûle les pellicules et récupère l’argent de l’assurance !» En dernier recours, Cannold organise une projection-test avec 1.000 spectateurs : «La salle était en délire, les gens survoltés tapaient des pieds, cette séance a réussi à galvaniser notre studio. On se sentait invulnérables !»

Frôler la banqueroute

En 1990, à la stupéfaction de tous, «Ghost» (de Jerry Zucker) est non seulement le plus gros succès estival, mais aussi celui de l’année. C’est d’autant plus étonnant que l’œuvre mélange les genres : amour, thriller surnaturel et comédie. Serait-ce là la clé d’un «film-appeal» ? «Sixième sens» de M. Night Shyamalan présente la même formule, avec les honneurs, en 1999. Innover, engager des acteurs peu connus – comme c’est le cas avec «Ghost» et plus tard avec «Titanic» -, être audacieux ou oser frôler la banqueroute constitueraient donc la formule pour réussir un film…

Magique et fou

En France, avant le succès insoupçonné de «La Famille Bélier» (d’Éric Lartigau) en 2014, une comédie sans prétention, Victoria Bedos, la coscénariste, n’en menait pas large. Comme confié à AlloCiné: «Au départ, on devait écrire un petit film dans le cadre d’une collection de longs métrages à petit budget (inférieur à 2,5 millions e) allant à l’encontre des «high concept» et développant un univers socioprofessionnel très fort. J’ai alors conçu « La Famille Bélier » et voilà le résultat. C’est à la fois magique et fou!»

Danièle Thompson, scénariste de «La Boum», n’a pas non plus oublié ses sueurs froides. Le premier jour de la sortie, fin 1980, le long métrage ne fait que 2.000 entrées en région parisienne. «On n’avait pas d’illusion, on était juste tristes», raconte-t-elle dans un documentaire de la Gaumont. «Un copain producteur m’a donné un franc, l’a mis dans ma main en disant: « T’inquiète pas, va ! » Car on ne demandait pas cher de notre peau!»

Une amitié avec le public

Étonnamment, le lendemain, la production l’appelle. «On me dit: « C’est très bizarre, on a fait 300 entrées de plus ! » Ce qui est rare car le jeudi, il y a toujours une baisse. Puis on fait 6.000 entrées le vendredi, 15.000 samedi, 20.000 dimanche, puis c’est monté en flèche jusqu’à plus de 4 millions !» Sophie Marceau se rappelle : «Les gens ont commencé à m’écrire, on recevait des sacs de courrier !» À l’étranger, même hystérie. En Italie, il y aura une vingtaine de blessés à Rome lors de la visite du réalisateur Claude Pinoteau et de son actrice débutante. Au Japon, les fans-clubs hurlent dès leur arrivée à l’aéroport. «On m’a demandé des autographes à Tokyo ! Aujourd’hui encore, on me reconnaît», s’étonne Alexandra Gonin, alias la petite Samantha dans le film.

Sophie conclut: «C’est devenu une histoire d’amitié avec le public !» La recette du succès conserve donc tout son mystère. Le cinéma reste une affaire de suspense. Et de multiples rebondissements.

Hugues Dayez : «Le public a envie de rire!»

«Astérix» est-il une surprise avec son bon démarrage malgré des critiques acerbes ?

Après un mois et demi de promotion, c’est normal. Il faut voir à terme. Tant de facteurs entrent en ligne de compte. Pour l’instant, en France, il marche bien en province, où les salles offrent moins de choix de films.

Tout ce battage n’est-il pas pathétique ?

Le plus pathétique, c’est Guillaume Canet qui fait des visites surprises dans les salles. La démarche est un peu suicidaire. Plus il se montre, plus il agace la presse française.

Des navets à l’humour régressif arrivent à casser la baraque. Pourquoi ?

C’est en partie une perte de cinéphilie. De très bons films, un peu «compliqués», ne sont compréhensibles, osons le dire, que par des cinéphiles qui ne se déplacent pas forcément en masse dans les salles. Le mot magique est «comédie». C’est compréhensible. En ces temps anxiogènes, le public a envie de se distraire. À côté de cela, il y a tout de même des films, comme «Tár», qui fonctionnent bien. Quand arrive un grand film d’auteur, tel «The Father», le public est là aussi.

Il n’y a donc pas une fracture inquiétante ?

La vraie «maladie de production» se situe dans le cinéma français, plus gros producteur européen. Il produit trop de «téléfilms» qui n’ont rien à faire dans les salles. «Astérix» n’est pas du cinéma, malgré trois batailles et quatre images de synthèse. Jadis, les séries B, comme «Le Fou du labo 4», s’assumaient, ne mobilisaient pas huit cents salles et ne nous faisaient pas prendre des vessies pour des lanternes.

Le bouche-à-oreille sera-t-il toujours plus fort que la critique ?

Une critique négative ne parviendra jamais à bousiller l’envie d’aller voir un film si le marketing est bien fait. Mais sur la longueur, rien ne vaut le bouche-à-oreille. Il ne fonctionnera que si le film est bon.

Cet article est paru dans le Télépro du 16/02/2023

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