Bilan média 2022 (2/2) : la télévision n’est pas morte mais sa pérennité passera par le digital

Alain Gerlache commente la fusion avortée TF1/M6 © Isopix et RTBF
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

Suite de notre retour sur l’année média 2022 avec Alain Gerlache.

Pour lire la première partie de l’interview : cliquez ici

L’année 2022 a été si riche en actualité médias qu’on se devait de s’y attarder. RTL-TVI ne fait plus partie du groupe qui lui doit un peu tout, TF1 et M6 fricotent sans conclure, LN24 intègre un groupe de presse et la RTBF – dans ce paysage audiovisuel belge recomposé – risque de devoir jouer les cowboys solitaires.

Deuxième partie de notre bilan 2022 et les perspectives d’avenir avec Alain Gerlache, journaliste et chroniqueur politique très connu de part et d’autre de la frontière linguistique et ancien directeur de la télévision de la RTBF. Autant de casquettes qui lui offrent un regard aiguisé sur les médias.

Pensez-vous que l’échec de la fusion TF1-M6 était une bonne chose pour le paysage audiovisuel français ?

C’est compliqué… Ce projet de fusion était pour assurer la survie ou la pérennité d’un groupe privé dans le domaine de la télévision face aux plateformes mondiales. Sur le strict marché français, ça donnait une force de frappe énorme à un seul groupe qui aurait pu dicter sa loi aux annonceurs. Autant la fusion se justifie au niveau stratégique global, autant il était difficile pour un certain nombre d’annonceurs d’être rassurés sur la possibilité d’avoir à faire à un groupe trop puissant. À coté de ça, se posait la question du pluralisme en France, avec un service public face à une grosse entreprise commerciale. Mais même du côté de chez France Télévisions, on était favorable à la fusion. C’était une façon de protéger le marché. Ça avait aussi un peu de sens quand on voit que pour maintenir son nombre d’abonnés, Netflix lance une offre moins chère mais avec de la publicité dans les contenus. Ma réponse n’est pas franche, mais les enjeux sont complexes et le point d’équilibre est difficile à trouver… Actuellement, pour répondre à la question, je dirais «oui et non».

Selon vous, dans cinq ans, on pourrait relancer la machine ? Le marché ne pourra pas rester comme ça…

Oui, je crois que le dossier n’est pas enterré. Mais ça va dépendre de la concurrence et de la bonne santé des plateformes actuelles. Personne ne sait comment ça peut évoluer. Les plateformes SVOD ont été extrêmement favorisées par la crise du covid. On voit que ça commence à se ralentir. Nous sommes dans une période d’une telle incertitude économique que je n’oserais pas dire que le dossier est fermé pour toujours. Et on voit aussi que dans le giron public, on veut aussi rassembler Radio France et France Télévisions. Ça commence déjà entre France Bleu et France 3. Mais on pourrait aller plus loin. Chez nous, les groupes télés ont conservé cette structure globale, et ils ont eu raison de le faire.

Finalement, le président de RTL Group, Thomas Rabe, a-t-il raison de dire que les marchés doivent se consolider si on veut la survie de la télévision ?

Oui, il faut absolument avoir une position centrale sur son marché, tout en nouant des alliances au-delà. C’est sans doute ça le point d’équilibre. On avait dit que Netflix serait un déversoir de productions américaines dans le monde entier, et qu’il imposerait la vision US du monde sur toute la planète. Ce n’est pas du tout ça. Netflix est très attentif à proposer bien d’autres choses. Bien sûr, quand la plateforme débarque dans un pays, elle ne doit pas être dans une situation de distorsion de concurrence et elle participe à la production locale de contenus. À titre personnel, je suis un fan de séries scandinaves, j’ai une offre sur Netflix à ce niveau qui est extraordinaire. On ne la retrouve pas avec la même intensité sur nos chaînes, sauf peut-être Arte.

Quel avenir pour la télévision ?

L’enjeu pour les chaînes, c’est de développer une offre digitale et des plateformes qui ont une facilité d’usage et la convivialité (user friendly), au même titre que le sont Netflix, Disney+, etc… Elles doivent y développer une offre spécifique pour ce public-là, et on peut prendre comme exemple l’évolution de «Jardins & loisirs». C’est pareil en radio avec les podcasts. J’écoute de plus en plus de podcasts et de moins en moins de programmes de radio en direct. Mais globalement, j’écoute plus la radio qu’avant.

C’est la mort du linéaire ?

Je ne pense pas. Quand il y un gros événement sportif fédérateur comme la Coupe du Monde, on ne va pas le regarder en différé. Ou alors, il faut se mettre dans une bulle pour ne pas connaître les scores des matches. Tout comme le papier dans la presse n’est pas encore rangé au placard, mais de plus en plus de journaux ont une offre digitale qui a parfois plus d’abonnés que le version papier. Les funérailles de la reine Elizabeth II, le monde entier les a suivies en direct. La télévision linéaire aura toujours une utilité pour ces contenus-là.

Vous avez été directeur de la télévision à la RTBF de 2003 à 2007. C’était différent par rapport à la même fonction en 2022 ?

J’ai dirigé la télévision à l’apogée de son pouvoir. Elle était toute puissante et partout. Les innovations technologiques nous avaient pas mal aidés à la rendre attractive. C’était le début de la numérisation et de la qualité d’image inégalée jusque-là. On pouvait créer plein de choses… Ensuite, on s’est ramassé de plein fouet le développement d’internet et surtout des réseaux sociaux qui ont bousculé pas mal de choses, notamment dans l’information. À l’époque, ce qu’il fallait, c’était essayer de se préparer à ce qu’on voyait arriver mais dont on ne percevait pas l’ampleur. En 2022, cette révolution continue et dans un contexte économique très difficile face à des phénomènes comme le morcèlement des publics. Et même les réseaux sociaux les subissent. Tik Tok et Facebook ne sont pas utilisés par les mêmes personnes. Ce n’est plus homogène.

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