Bilan média 2022 (1/2) : une année incontestablement difficile !

Alain Gerlache revient sur les grands événements médias de l'année en Belgique © Isopix-RTBF/Martin Godfroid
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

Retour sur l’année média 2022 avec Alain Gerlache.

L’année 2022 a été si riche en actualité média qu’on se devait de s’y attarder. RTL-TVI qui ne fait plus partie du groupe qui lui doit un peu tout, TF1 et M6 qui fricotent sans conclure, LN24 qui intègre un groupe de presse et la RTBF qui – dans ce paysage audiovisuel belge recomposé – risque de devoir jouer les cowboys solitaires.

Première partie du bilan et des perspectives d’avenir avec Alain Gerlache, journaliste et chroniqueur politique très connu de part et d’autre de la frontière linguistique et ancien directeur de la télévision de la RTBF. Autant de casquettes qui lui offrent un regard aiguisé sur les médias.

2022 a-t-elle été une bonne année ?

C’est incontestablement une année difficile parce qu’on voit qu’un certain nombre d’évolutions se poursuivent, notamment pour les médias traditionnels. Et en même temps, ça se passe dans un contexte international, économique et financier très compliqué. C’est une sorte de double peine. La transition, qui a commencé il y a pas mal de temps, se fait dans des conditions difficiles, qui affectent aussi les nouvelles plateformes. Netflix connaît des difficultés, sans parler des licenciements dans les médias comme Facebook ou Twitter.

La vente de RTL a-t-elle été une surprise ?

C’était dans l’air depuis pas mal de temps. RTL n’a jamais été, en termes de rentabilité, le fleuron du groupe qui la possédait, même si ses performances sur la Belgique francophone étaient importantes. C’est une chaîne qui se porte plutôt bien. Mais nous sommes sur un marché très petit avec 4,5 millions de francophones, et les alliances avec M6 ne suffisent pas à dynamiser la rentabilité. C’est intéressant de voir que finalement, les deux nouveaux actionnaires sont deux grands groupes qui ont aussi des ramifications à l’étranger. Rossel est présent en France, et surtout DPG Media qui a une dimension européenne au-delà de son ancrage flamand. RTL s’est adossée à des groupes importants tout en gardant sa spécificité locale.

Rossel investit massivement en France dans les télés locales. À côté de la radio et de la télé, Le Soir et Sudinfo ne seront plus le cœur du groupe ?

Avec la multiplication des canaux et des plateformes, il est très difficile de se maintenir sur un seul média. C’est une évolution que l’on voit partout. Mais ça ne signifie pas qu’il faille renoncer à des marques historiques et puissantes sur leur marché. L’intelligence est à la fois de bénéficier d’un certain nombre de synergies en utilisant tous les canaux pour se renforcer l’un et l’autre, mais il faut maintenir l’identité d’un média important comme Le Soir, avec sa position historique et de référence. Le RTLiser ne serait pas une bonne idée, et je ne crois pas que ce soit à l’ordre du jour chez Rossel.

DPG serait-il tenté de faire de RTL le pendant francophone de VTM ?

C’est une possibilité… Le groupe VTM s’en sort plutôt bien sur son marché en Flandre malgré la forte concurrence de la VRT. En Flandre, le service public est très fort, et la grande différence entre le marché flamand et le marché francophone, c’est qu’au Nord, les chaînes néerlandaises n’attirent quasi personne, à l’inverse de TF1 et France Télévisions au Sud, un marché plus petit et moins riche. DPG a pour habitude de rester respectueux des lignes éditoriales de ses médias. On le voit en Flandre où il a Het Laatste Nieuws et De Morgen, deux titres très différents. Il n’y a pas de volonté de rapprocher les deux journaux. Par contre, les productions de VTM pourraient – en étant adaptées correctement – servir pour RTL. La pire des choses, ce serait que les médias belges, flamands ou francophones, perdent leur ancrage local. La concurrence des plateformes est trop forte. Il faut défendre son identité locale.

En Flandre, la VRT tente une approche avec NPO (le service public hollandais). Est-ce que la RTBF ne va pas se retrouver toute seule dans ce monde qui se globalise ?
(ndlr : Alain Gerlache précise qu’il n’est plus employé de la RTBF mais chroniqueur indépendant. Sa parole n’engage que lui.)

La RTBF fait partie depuis très longtemps d’une alliance avec d’autres groupes de médias francophones étrangers (ndlr : Les Médias Francophones Publics). La volonté est de partager des idées, des expériences et de collaborer sur différents projets. Lorsque j’y étais de 2007 à 2016, c’était le développement du numérique et on a beaucoup travaillé main dans la main sur ce sujet. La RTBF n’est pas isolée. Évidemment, du côté flamand, le groupement est plus petit, et c’est vrai qu’il y a des collaborations en termes de matériels, ne fut-ce que pour réduire les coûts.

Ne serait-ce pas plus logique de faire ce genre de collaboration entre la VRT et la RTBF ?

Oui… Et il en existe aussi, notamment dans le domaine de l’information. Les images sont échangées pour les JT. C’est plus difficile pour les programmes. Quand j’étais directeur de la télé à la RTBF, une de mes premières décisions était de s’engager dans le projet «Plus belle la vie». C’était à la fois utile pour la RTBF d’entrer dans le projet et c’était aussi intéressant d’avoir en retour un programme qui n’a pas trop mal marché et qui est resté dix-huit ans à l’antenne. C’était une bonne opération. C’est un exemple qui montre qu’il y a des collaborations utiles, mais c’est plus simple quand c’est un programme francophone. D’où l’intérêt de TV5 pour la RTBF. Elle donne de la visibilité à ses émissions, avec TV5MONDE+, une plateforme mondiale qui propose aussi des programmes belges francophones.

D’un autre côté, on reproche une trop forte francisation des grilles de la RTBF…

Ce n’est pas neuf. Quand on a lancé la télévision belge, il n’y avait même pas de journal télévisé. C’était un relais de celui de la RTF à Paris. Diffuser des programmes français, chez nous, avant la diffusion en France, c’est de la stratégie défensive. Si ces programmes n’étaient pas diffusés chez nous , ils seraient très regardés sur la chaîne française qui les propose. La «primodiffusion» devient indispensable. En effet, il faut être attentif à maintenir un ancrage local, belge et francophone. C’est impératif. Il faut y être attentif, comme j’en parlais pour RTL et les autres médias. Nous sommes un très petit marché avec une identité propre, et un contexte de concurrence, de difficulté sur le marché de la publicité et les coûts de productions. Le but ultime est la nécessité des maintenir des médias de chez nous, et pas des médias français avec une petite fenêtre belge. La catastrophe serait que la RTBF devienne un France 3 Wallonie-Bruxelles.  

Sur un si petit marché, est-ce possible de faire du contenu local de qualité ?

C’est en assurant la viabilité des médias et en gardant un équilibre global public-privé, audiovisuel, presse écrite,… Par exemple, IPM qui vient de s’engager dans la télévision avec LN24, y développe de la radio également. Je reconnais que c’est facile à dire et plus difficile à faire, surtout dans le contexte actuel. Mais on n’a pas le choix. On ne pourra pas capituler. Les collaborations et les synergies au sein des groupes seront inévitables. On remarque aussi qu’Auvio s’est ouvert à d’autres chaînes que celles de la RTBF avec AB3, LN24 ou NRJ. C’est sans doute vers cette évolution-là que l’on va, avec comme question sous-jacente : «Est-ce qu’Auvio doit rester à la RTBF ou devenir une plateforme globale pour tous les médias de Wallonie-Bruxelles ?». C’est un débat qui existe aussi en France, avec Salto…

Découvrez la seconde partie de cette interview ce samedi 31 décembre sur telepro.be

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