Avis de tempête en mer de Chine
Un conflit entre Taïwan et Pékin aurait des conséquences planétaires.
Encerclement total : l’objectif des manœuvres auxquelles se livre l’Armée populaire de libération chinoise ne laisse aucune place au doute. En ce dimanche 9 avril, Pékin effectue la répétition générale d’un isolement de l’île de Taïwan. La télévision d’État CCTV évoque «des simulations de frappes de précision contre des cibles clés sur l’île et dans les eaux environnantes». Pour cet exercice baptisé «Joint Sword» («Épée commune »), une véritable armada est envoyée dans le détroit de Taïwan. «Au moins neuf navires de guerre et 58 avions de combat et bombardiers», dénombre le ministère taïwanais de la Défense. Objectif : s’exercer à «prendre le contrôle de la mer, de l’espace aérien et de l’information».
Émoi sur la planète : ces manœuvres interviennent dans un contexte particulièrement tendu. La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen est aux États-Unis. Malgré les menaces de l’empire du Milieu, elle vient de rencontrer le Speaker de la Chambre des Représentants. Un ixième épisode des tensions entre la République populaire de Chine et la petite île.
Une histoire mouvementée
Son existence est mentionnée pour la première fois au III e siècle dans les archives chinoises. 1.400 ans plus tard, les Néerlandais en prennent le contrôle pendant une quarantaine d’années. La dynastie chinoise Qing leur succède pendant deux siècles. Taïwan («la grande baie»), aussi connue en français sous le nom d’île de Formose («belle île»), passe ensuite sous autorité nippone après la première guerre sino-japonaise, en 1885. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Onu récupère l’île, qui est confiée à la République de Chine du général Tchang Kaï-chek. En 1949, celui-ci est chassé du pouvoir par les communistes de Mao Zedong et se réfugie à Taïwan avec ses fidèles. Depuis, l’histoire de Taïwan est loin d’être un long fleuve tranquille. À l’heure actuelle, seuls treize pays (dont le Vatican) la reconnaissent encore comme une nation indépendante, distincte de la Chine (le Honduras a coupé les ponts diplomatiques le 27 mars dernier). Par le passé, ils ont été jusqu’à 110.
Beaucoup d’alliés
Dans ces conditions, pourquoi donc cette île, à peine plus grande que la Belgique (35.000 km² contre 30.000), mais deux fois plus peuplée (23 millions d’habitants), attise-t-elle autant les passions internationales ? Pour le président chinois Xi Jinping, pas question de lâcher le morceau. Pékin considère Taïwan comme «une province sécessionniste qui, à terme, fera partie du pays». La façon dont Taipei a géré la crise du covid, sa bonne santé économique et le virage démocratique adroitement négocié en une trentaine d’années n’arrangent rien aux tensions. Peu de nations reconnaissent officiellement Taïwan, mais nombreux et puissants sont ses alliés. Les représentants politiques australiens, canadiens, japonais ou européens se succèdent dans les salons du palais présidentiel. Les Américains ? Ils mènent le bal. Fin 2021, Jo Biden invitait son homologue taïwanaise au premier Sommet pour la démocratie. Huit mois plus tard, la présidente américaine de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, se rendait en visite à Taïwan et provoquait la colère de la Chine, tout comme le voyage américain de la présidente Tsai Ing-wen évoqué ci-dessus.
Les puces mènent la danse
Les raisons de tant d’attention sont multiples. Géopolitiques d’abord. Pas question de laisser le rival chinois (et son projet «Route de la soie») accroître son hégémonie sur l’océan Indien jusqu’au Pacifique océanien et menacer davantage encore la stratégie des États-Unis dans ces régions. Si l’aspect «défense de la démocratie » est aussi mis en valeur, personne n’oublie les enjeux économiques. Taïwan joue un rôle capital dans le secteur des semi-conducteurs (59 % de la production mondiale, 90 % de toutes les micro-puces les plus avancées) indispensables pour les smartphones, les ordinateurs, dans l’aéronautique ou l’automobile. Une guerre aurait des répercussions planétaires. En août 2022, le président Biden a même déclaré que son pays interviendrait militairement en cas de conflit, avant d’effectuer une courbe diplomatique rentrante… Et les Taïwanais dans tout cela ? Selon une enquête menée en juin dernier, 5,2 % seraient favorables à l’indépendance et 1,3 % à la réunification. Tous les autres souhaitent un statu quo : l’autonomie sans nécessairement une indépendance officielle.
Cet article est paru dans le Télépro du 4/05/2023.
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