Ariane Meertens (RTBF) : «Le succès de nos séries est enthousiasmant et fou»

Ariane Meertens (RTBF) : «Le succès de nos séries est enthousiasmant et fou»
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

Avec le succès des suites de «La Trêve» et d’«Ennemi public», la RTBF part sur de bonnes bases pour la poursuite des productions du Fonds Séries. Rencontre avec la responsable des Séries belges.

Même si pour l’instant ça tourne un peu en rond, entre les saisons 2 de «La Trêve» (qui ne devrait pas avoir de 3e saison), d’«Ennemi public», et prochainement d’«Unité 42», la RTBF compte bientôt donner un coup d’accélérateur  dans la production des séries belges. Son contrat de gestion lui impose 40 épisodes par an (soit 4 saisons de 10 numéros).

«Après 5 ans, pour une « industrie » qui est relativement jeune, on ne peut qu’être fiers», explique Ariane Meertens. «En très peu de temps, on a pu créer un écosystème, et en plus de la reconnaissance à l’international, en Belgique, quand on parle de séries belges, les gens sont fiers de voir leurs comédiens ou des lieux de leur ville.»

Ça fonctionne le local ?

Il y a vraiment quelque chose d’identifiant pour le public. On est trop habitués aux séries américaines où ça se passe loin de nous. Et tout d’un coup, on voit des choses qui nous ressemblent dans nos décors et dans nos villes. On va peut-être y croiser un comédien de l’école de son enfant. Il y a quelque chose qui s’est mis en place à ce niveau-là et qui est vraiment exaltant.

Pour les acteurs aussi ?

Oui, on commence à remarquer que ça bouge de manière transversale dans les théâtres. Il y a un regain pour les pièces dans lesquelles jouent les acteurs des séries belges. Et on n’a pas peur de dire «Yoann Blanc de ‘La Trêve’» ou «Angelo Bison  d’’Ennemi public’» tout en connaissant dans le milieu la carrière qu’ils avaient déjà avant.

Il y aura assez de comédiens belges pour faire toutes les séries qui sont en projet ?

C’est compliqué… Nous avons de très bons comédiens belges à qui on ne va pas dire «vous ne pouvez faire qu’une seule série», dans ce cas, on ira à l’encontre de la vision à long terme que l’on a avec le Fonds. Si un comédien d’«Ennemi public» ne peut plus jamais jouer dans aucune série, ce sera un one-shot et sa carrière serait finie. C’est impossible pour nous. Ils reviendront à un moment ou un autre. À l’heure actuelle, avec le peu de séries déjà produites, c’est plus compliqué, mais si vous êtes attentifs, vous verrez qu’on peut en revoir dans des plus petits rôles. D’un autre côté, et c’est la force de la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est que les équipes qui travaillent sur des projets de séries viennent de milieux très divers et elles cherchent des talents. Que ce soit dans «La Trêve» ou «Ennemi public», on y a vu des comédiens qu’on n’avait pas encore aperçu, et pourtant ils viennent pour la plupart du théâtre ou du cinéma… On veut donc pérenniser des rôles pour nos comédiens et qu’ils ne partent pas tous comme c’était le cas avant, découvrir de nouveaux talents, parce qu’à terme si on fait beaucoup de séries, on aura besoin d’eux.

Un peu comme en Flandres ?

Ils ont une expérience de 20 ans derrière eux. Que ce soit aux États-Unis ou au Royaume-Uni, on retrouve des comédiens connus qui sont les héros de plusieurs séries à la fois. Il n’y a pas d’incompatibilité. Le public ne s’en plaint pas. C’est également le cas pour «Casa de Papel» et «Elite» où il y a trois rôles principaux en commun. Des comédiens que l’on a aimé voir dans une série, on sera ravi de les retrouver dans une autre. C’est le principe même de l’acteur…

Nos séries qui passent sur TF1 ou France Télévisions (et Canal+ aujourd’hui), c’est la cerise sur le gâteau ?

En soi, on n’espérait rien «secrètement» puisque dans les conditions de dépôt d’un projet de série, il est indiqué que l’on veut du local, mais qui puisse s’exporter. Cerise sur le gâteau, oui, parce que ça se fait, et on est très contents, mais c’était un de nos objectifs. Je reconnais que c’est fou et très enthousiasmant, parce que le public est de plus en plus exigeant.

Et quand une série belge fonctionne moins bien que «The Good doctor»…

Mais soyez un peu fiers de nos productions, nom d’une pipe ! (rires) Je reconnais que «Good doctor» est une machine de guerre. C’est écrit par le créateur de «Docteur House» avec des comédiens connus. Tout le monde est allé le voir parce qu’on était tous contents de retrouver un «Mini Dr House». C’était une petite madeleine de Proust, et c’est très efficace. Pour revenir chez nous, «La Trêve», personne ne l’attendait, et les comédiens n’étaient pas connus non plus. Notre tour de force est magistral, et nous sommes extrêmement fiers des audiences. Vous comparez des choses totalement différentes avec des budgets tout aussi différents. Mais si on veut pérenniser ce paysage de séries en Belgique, on doit investir dans la création.

Le Fonds Séries annonçait 4 séries par an. On a vu trop grand ?

Il faut compter le temps de développement, c’est très important. Sélectionner des séries en 2013 pour les mettre à l’antenne en 2016, c’est très court comme délais. En France, pour «Un village français», la saison 1 a mis sept ans à s’écrire. Nous sommes partis d’une page blanche et en cinq ans, nous avons mis huit séries à l’antenne. Et même pour une saison 2, ça s’écrit, ça se tourne, ça se monte avec six mois de postproduction… Honnêtement, je ne pense pas que ce soit une question de moyens, mais la jeunesse du secteur. Il faut se laisser le temps de proposer quelque chose qui séduise le public. Si on doit prendre six mois de plus, on le fait. C’est un pari sur l’avenir. C’est aussi une question d’échelle : une série, c’est un peu cinq ou six films que l’on fait en même temps. Les implications sont folles. Le téléspectateur ne veut plus des décors en carton-pâte.

Et «Plus belle la vie» ou «Demain nous appartient» qui sont quotidiennes ?

Ce sont des formats de 26 minutes, et c’est du soap. Ça signifie que l’on prend un studio, et on tourne dedans. Et pour les scénarios, on prend une vingtaine d’auteurs salariés et on les met dans une pièce, et à eux d’écrire une histoire qui peut être tournée d’un côté et s’écrire de l’autre. C’est le principe de «Plus belle la vie».

La RTBF y pense ?

Ce n’est pas encore à l’ordre du jour. On a tellement de choses à d’abord mettre en œuvre pour que nos séries perdurent. C’est un microcosme fragile.

Justement avec «Champion», la sauce n’a pas pris…

À ce point-là, on ne s’y attendait vraiment pas. Le public n’a pas adhéré et on ne sait pas trop pourquoi. Et la difficulté est qu’on doit se renouveler et partir dans tous les genres. Il n’y a pas de formules magiques. Même chez Netflix, ils sortent une centaine de séries par an, et s’il y en a dix qui cartonnent, c’est un succès.

Comment définiriez-vous LA série belge ?

Nous sommes beaucoup partis sur des polars, et la presse internationale parlait de nous en «Belgium Noir». Comme on s’ouvre, il n’y en pas encore vraiment, mais on va être diversifié et diversifiant. On veille à essayer de surprendre et apporter du plaisir en permanence. L’idée n’est pas de s’enfermer dans un seul genre. Avec nos quatre séries par an, le but est d’avoir un panel très large. J’ajouterais qu’on doit être très créatif, et c’est notre force.

Entretien : Pierre Bertinchamps

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici