Régis Hautière : «La Guerre des Lulus»
Dans un village français déserté, le destin d’orphelins laissés à eux-mêmes bascule en même temps que se déchaîne la Première Guerre mondiale. Une nouvelle série pour tous, signée Régis Hautière («De briques et de sang», Casterman) et Hardoc («Le Loup, l’agneau et les chiens de guerre», chez Paquet).
Régis Hautière, quel a été la genèse de ce projet ?
Une amie, directrice de la communication de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne (Picardie), me faisait remarquer que les BD proposées dans leur librairie, parmi les nombreux ouvrages relatifs à la guerre, ne visaient que des adultes. Rien à destination d’un jeune public. L’envie de raconter aux enfants quelque chose sur cette période a germé à ce moment. Et puis, mes deux propres enfants (14 et 17 ans) me demandaient depuis longtemps que j’écrive une histoire qui leur soit adressée. La Guerre des Lulus pouvait commencer…
Pourquoi les «Lulus» et pas les «Dadas», par exemple ?
Les deux premières choses que je recherche au début d’un projet, c’est un titre de travail et des noms des personnages principaux, quitte à les changer par après. Ici, le titre est venu tout de suite. Et puis, ce moment correspondait aussi avec la naissance d’un de mes neveux, Lucien. Ce vieux prénom étant très utilisé à cette période-là, je l’ai gardé et j’en ai cherché d’autres. Les Lulus sont nés comme ça.
Pourquoi avoir situé le récit pendant la Première Guerre mondiale ?
Ce conflit présente l’intérêt d’avoir un front figé, avec une partie du territoire français occupé par les Allemands, de nombreux village évacués et complètement désertés. Dans ce contexte fantôme, des enfants se retrouvent seuls et livrés à eux-mêmes du jour au lendemain, sans comprendre ce qui leur arrive.
Le travail de recherches documentaires a-t-il été conséquent ?
Oui, car il est beaucoup plus difficile de trouver de la documentation sur ce qui se passait à l’arrière des lignes de front, sur la vie civile et quotidienne, que sur le volet militaire de la guerre. Pour le tome 2, par exemple, j’avais besoin de savoir quels médicaments on donnait à cette époque, sous quelle forme était utilisée l’aspirine, l’aspect des véhicules civils, des détails sur les vêtements et les objets de la vie quotidienne…
L’album s’adresse aux plus jeunes, comme aux plus grands. Est-ce un exercice d’écriture difficile ?
Mon seul challenge était que l’histoire soit lisible par des enfants, sans que rien ne puisse les choquer. Les protagonistes sont des gamins et ne réagissent pas comme des adultes. Ils ont leur propre façon de parler et j’ai donc dû me réapproprier leur langage. Et même essayer de donner à chacun une façon de s’exprimer qui lui était propre, avec des tics de langage, des fautes grammaticales, des tournures de phrases assez alambiquées… Et à un moment, les Lulus ont commencé à parler tous seuls. Je mettais un sujet sur la table et laissais les personnages se débrouiller entre eux.
Le choix de Hardoc comme dessinateur s’est-il imposé de lui-même ?
Au départ, j’avais contacté un autre dessinateur, mais le côté guerre de 14 lui faisait peur. Il imaginait tout de suite les tranchées, les gueules cassées, etc. Un univers très militaire, alors que mon propos ne se situait pas du tout là. J’ai raconté mon histoire à Hardoc qui m’a dit que cela le branchait à fond, lui qui est passionné par la Première Guerre mondiale et avait depuis longtemps envie de dessiner une histoire avec des enfants. Nous avons réalisé deux pages d’essai et les avons montrées à Casterman qui les a pris.
Combien de tomes sont-ils prévus ?
L’éditeur s’est engagé pour quatre tomes. Il y en aura peut-être un cinquième, car au fur et à mesure de l’écriture, je me suis rendu compte que les Lulus ont beaucoup de choses à dire et de péripéties à vivre. Quatre volumes seront donc peut-être un peu justes… Nous avons terminé le premier tome il y a quasiment un an, mais pour réduire le temps de parution avant le suivant, nous avons décidé avec notre éditeur de le garder sous le coude et d’attendre que le tome 2 soit déjà bien avancé. Il est dessiné au 2/3, la moitié de la colorisation aussi. Nous espérons le boucler d’ici deux-trois mois pour une commercialisation à l’automne.
Comment se portent vos autres séries ?
Je travaille sur le tome 14 d’«Aquablue» (Delcourt). Une dizaine de pages sont terminées au dessin, je travaille sur la suite du découpage. Il devrait sortir en octobre-novembre. Chez Casterman, je travaille sur une nouvelle série en quatre tomes avec quatre dessinateurs différents et le scénariste Francis Laboutique. C’est l’histoire de quatre femmes mortes pendant la Seconde Guerre mondiale et qui ont réellement existé, vues à travers le regard d’une cinquième qui, elle, est inventée.
Avec David François (dessinateur de «De briques et de sang», ndlr), nous bûchons sur un nouveau projet, pour Casterman également. Il s’agira d’une histoire d’amour assez particulière dans le New York des années 30.
Enfin, avec Philippe Berthet, nous élaborons un diptyque qui se passera entre Cuba et le sud des États-Unis en 1958 (Dargaud).
L’histoire du XXe siècle tient une place importante dans vos scénarios !
L’histoire est une source d’inspiration inépuisable pour un scénariste. Mais je demande toujours au dessinateur s’il a une période de prédilection. Berthet, par exemple, est passionné par les années 50-60, qui correspondent bien à son dessin. David François avait envie de dessiner New York et d’avancer un peu dans le temps par rapport à «De briques et de sang». Souvent, la période historique découle donc d’une envie graphique du dessinateur…
Le fait de travailler pour plusieurs éditeurs n’est pas gênant ?
Pas du tout, au contraire ! Plus que l’implication de l’éditeur au cours de la réalisation, ce qui m’importe, c’est son implication au moment de la commercialisation de l’album. Son rôle n’est pas juste d’imprimer, mais de défendre et de montrer qu’il y croit, sinon pourquoi le lecteur y croirait-il ?
Entretien : Julien BRUYÈRE
À lire
«La Maison des enfants trouvés», La Guerre des Lulus n° 1, Régis Hautière et Hardoc, 12,95 € (Casterman)
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