Pourquoi nous consommons trop de sucre

Pourquoi nous consommons trop de sucre

Vendredi 15 juin 2012, «Cash investigation» (France 2 à 22.35) se penche sur la façon dont l’industrie agroalimentaire nous pousse à manger trop sucré.

Pour en savoir plus sur le sujet, rencontre avec le Dr Nicolas Paquot, professeur de nutrition à l’ULg (CHU-Sart Tilman).

Tout d’abord, est-ce exact que nous avons une attirance innée pour les goûts sucrés ?

Cela est loin d’être sûr. Il y a eu des études chez le nourrisson, mais les résultats n’étaient pas très concordants. Je pense qu’il y a surtout une attirance acquise.

En cinquante ans, notre consommation de sucre a triplé. Comment expliquer cette augmentation brutale ?

Tout d’abord, il faut faire une précision. Les sucres simples, qui font partie des glucides au sens large, sont les plus petites structures composées d’une ou deux molécules : les monosaccharides (glucose, fructose) et les disaccharides (le saccharose, à savoir le sucre de table). Et ces sucres-là – glucose, fructose, saccharose ou lactose – ont augmenté en consommation. Tout simplement car ils sont proposés de façon plus abondante par l’industrie alimentaire. On les retrouve notamment dans les sodas. Et cette augmentation de la consommation de sucre n’est pas très favorable, car ce sont des calories. Leur métabolisation stimule fortement l’insuline, une hormone qui met tout en réserve et qui transforme en partie ces sucres en graisse.
Mais paradoxalement, depuis quelques dizaines d’années, la consommation globale de glucide a, quant à elle, plutôt diminué. Normalement, 50 à 55 % des calories consommées sur une journée devraient provenir des glucides (35 % des lipides et 15 % des protéines). Ce qui était le cas au début du XXe siècle, grâce au pain, aux pâtes, aux pommes de terre… Or, depuis les années 50, la consommation des glucides est passée à 45 %, voire à 40 %. Et au sein des glucides, la fraction des glucides complexes a diminué au profit des sucres simples.

Quelle serait la consommation idéale de sucre ?

L’idéal serait que les sucres ne dépassent pas 5 à 10 % de nos calories quotidiennes et que les glucides consommés soient des glucides complexes. Car les sucres simples apportent des calories, mais pas d’élément nutritionnel intéressant. Les aliments apportant des glucides contiennent, quant à eux, des minéraux, des vitamines, des fibres…

Les produits industrialisés contiennent donc beaucoup de «mauvais» sucres ?

Certes, l’industrie alimentaire a introduit dans les sodas et les bonbons une quantité importante de sucre, car il y a un plaisir aux goûts sucrés, certainement encouragé par l’industrie. Mais il ne faut pas globaliser. Certains produits industrialisés sont de bonne qualité. Cela dit, c’est clair que si nous étions des chasseurs-cueilleurs, nous mangerions très peu de sucre (juste le sucre des fruits). Les quantités de sucres raffinés (le saccharose, les sucres de betterave, de canne) ont nettement augmenté dans les dernières décennies. Car non seulement, cela rejoint le goût du consommateur, mais en plus, cela ne coûte pas cher à la fabrication.

Le sucre est aussi présent dans des aliments où on ne s’attend pas à en trouver, comme dans certaines charcuteries…

Oui, mais pas énormément. Et ce sont des quantités minimes. Les sucres arrivent dans notre organisme surtout via la consommation des sucreries au sens large (bonbons, sodas…).

Excepté le surpoids, quels sont les principaux risques liés à une alimentation trop sucrée ?

Des troubles métaboliques. Le fait de manger beaucoup de sucres stimule la production d’insuline, qui transforme les sucres en lipides. Ces graisses se localisent alors dans le foie ou sur les muscles et interfèrent avec le métabolisme. Ces conséquences indirectes vont générer une résistance à l’insuline, voire conduire au diabète de type 2 pour les personnes prédisposées. Bien sûr, ce processus est très long. Le sucre peut aussi provoquer de l’hypertension artérielle, trop de mauvais cholestérol… toute une série d’anomalies néfastes. Mais il est important de dire une chose : toutes ces anomalies métaboliques sont en grande partie réversibles, en diminuant la consommation de sucre.

À l’instar du tabac ou de l’alcool, y a-t-il un côté addictif dans le sucre ?

Large débat ! Probablement, mais pas autant que dans le tabac et l’alcool. Mais c’est vrai que certaines personnes sont «droguées», et notamment aux sodas. Mais je pense que les habitudes jouent aussi un grand rôle.

Beaucoup de choses ont été dites sur les édulcorants. Finalement, l’aspartame est-elle néfaste ?

C’est un serpent de mer ! Rien ne prouve que des quantités modérées d’aspartame soient néfastes. Une équipe italienne avance chaque année que l’aspartame est cancérigène, mais cela n’a jamais été démontré par d’autres équipes. Cela dit, consommer des quantités importantes de sodas light, ou de produits light en général, n’est pas une bonne idée. On a beaucoup discuté pour savoir si les boissons light entretenaient le goût sucré. En fait, je crois surtout que la consommation importante de boissons light fait partie d’une hygiène alimentaire peu satisfaisante. Nous pouvons consommer de tout, mais en quantité modérée. Et les sodas, qu’ils soient light ou pas, sont au-dessus de la pyramide alimentaire, ce sont des ajouts. L’apport en liquide – qui est la base de la pyramide – est constitué d’eau. Il faut le rappeler. Il s’agit d’une règle de base de l’hygiène alimentaire. Le soda doit être consommé de façon ponctuelle et pour le plaisir et ne doit pas être la boisson quotidienne de tous les repas.

On parle aussi beaucoup de la stévia comme d’un édulcorant miraculeux…

Et ça ne l’est certainement pas ! La stévia est un édulcorant comme un autre, qu’il soit naturel ou pas. Il existe des dizaines de produits naturels très mauvais, l’argument du naturel ne tient donc pas la route. La stévia a un pouvoir sucrant très important et est peu calorique. C’est tout. Il n’a pas de vertu particulière. Il n’est pas meilleur ou moins bon que l’aspartame. Et la stévia a un goût particulier, pas toujours apprécié. Alors, c’est vrai qu’il y a un gros battage et beaucoup d’engouement autour de la stévia, mais il y a beaucoup d’argent derrière… On peut donc en consommer, mais avec modération. Comme un édulcorant classique.

Pour conclure, voulez-vous ajouter quelque chose ?

Les gens sont souvent à la recherche de formule miracle. En fait, une alimentation saine est une alimentation équilibrée, variée et sans excès. Il faut toujours faire la chasse aux aliments très caloriques comme les boissons sucrées ou les graisses. Se réfugier dans un édulcorant pour palier un besoin est une erreur. Il vaut mieux consommer de tout, mais de façon modérée. Et les sodas doivent rester occasionnels.

Entretien : Stéphanie BREUER

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