Zelensky, l’acteur devenu chef de guerre

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans son bureau, le 12 mars 2022 à Kiev © Présidence ukrainienne/AFP/Archives Handout

Traits tirés, barbe brune, t-shirt kaki emblématique, assis à son bureau ou sur le front, le président Volodymyr Zelensky est devenu le visage de la détermination des Ukrainiens à vaincre l’armée russe.

Quelques semaines avant l’invasion du 24 février, sa présidence, entamée trois ans plus tôt, semblait en perte de vitesse, l’ancien comédien peinant à tenir ses promesses électorales dans un pays rongé par la pauvreté et la corruption.

Facile alors pour ses rivaux de dire que le costume présidentiel est trop grand pour un amuseur public. Et aux Occidentaux de se désoler que le nouveau dirigeant ukrainien se montre incapable de réformer le pays.

« Avant la guerre, beaucoup traitait l’Ukraine comme un Etat défaillant, et Zelensky comme un dirigeant faible », relève l’analyste politique, Volodymyr Fessenko.

Quand, à l’aube du 24 février, Vladimir Poutine lance, le regard noir, l’invasion de l’Ukraine, Moscou est convaincu que l’offensive sera courte, que le faible pouvoir ukrainien s’écroulera.

« Nous sommes tous ici »

Kiev, Kharkiv, Lviv, Dnipro, Odessa: toutes les grandes villes ukrainiennes sont frappées, l’armée russe se dirige vers la capitale ukrainienne.

« Il y a eu des rumeurs comme quoi (le président ukrainien) allait s’enfuir », se souvient M. Fessenko.

La réalité est autre. M. Zelensky marque les esprits, apparaissant dans une vidéo filmée devant les bâtiments de l’administration présidentielle, en plein centre de Kiev, flanqué de ses conseillers.

« Nous sommes tous ici, nos militaires sont ici, les citoyens, la société, nous sommes tous ici, à défendre notre indépendance, notre Etat », lance-t-il, regard planté dans la caméra.

Après plus de neuf mois de guerre, la fatigue se lit bien sûr sur son visage mangé par la barbe, mais tous les soirs sa détermination est la même, lorsqu’il s’adresse à la population dans des vidéos mises en ligne sur les réseaux sociaux.

Entretemps, M. Zelensky et son armée ont infligé des humiliations surprises à Vladimir Poutine: en avril le Kremlin renonce à Kiev, en septembre il perd la région de Kharkiv puis en novembre Kherson, capitale de la région éponyme.

Faisant de lui son homme de l’année, le quotidien britannique Financial Times n’hésite pas à le comparer à Winston Churchill, chef de guerre britannique face aux nazis.

En Russie, à l’inverse, il est présenté comme le chef d’une clique de génocidaires néo-nazis ou de drogués, voire même comme Satan.

« L’Eglise orthodoxe russe doit officiellement proclamer que Zelensky c’est l’arrivée de l’Antéchrist! », s’énervait encore la semaine dernière le politologue Araïk Stepanian, à l’antenne de Rossiya 1.

Mais c’est bien Volodymyr Zelensky, 44 ans, qui a la maîtrise du champ de bataille médiatique, qu’il apparaisse dans Vogue avec sa femme Olena ou à Kherson, ville du sud reprise en novembre, entonnant l’hymne national entouré de soldats.

Résilience et résistance

Des images qui tranchent avec celles d’un Vladimir Poutine qui travaille reclus au Kremlin, la plupart de ses apparitions se faisant par visio-conférences.

Volodymyr Zelensky a aussi usé habillement de sa popularité et des souffrances des Ukrainiens pour arracher plus d’armements, plus d’aide financière de ses alliés occidentaux.

A cette fin, il présente régulièrement son pays en rempart face à l’impérialisme russe, en défenseur des valeurs démocratiques, comme en juin, lorsqu’il dit devant les députés tchèques que Moscou vise « un vaste territoire de Varsovie à Sofia, de Prague à Tallinn ».

Il est aussi incisif à l’égard de ceux qui lui suggèrent de faire des concessions à Moscou, comme le président français Emmanuel Macron.

Et les chefs d’Etats occidentaux comme les stars hollywoodiennes défilent dans ses bureaux.

M. Zelensky, qui a grandi dans la ville industrielle de Kryvyï Rig au cœur d’une région majoritairement russophone, n’était pas prédestiné à ce rôle.

Avant de se lancer en politique, il s’était forgé une belle carrière dans la comédie.

En Ukraine, comme en Russie d’ailleurs, où il était invité par ces mêmes chaînes de télé qui l’invectivent aujourd’hui.

A partir de 2015, il interprète, dans une série à succès, un professeur d’histoire honnête mais naïf qui devient par hasard président de l’Ukraine.

La fiction rattrape donc la réalité avec son élection en 2019 par des Ukrainiens fatigués de leur classe politique corrompue et de leur président milliardaire, Petro Porochenko.

S’il n’a pas su répondre aux attentes de ses électeurs au début de son mandat, la guerre a tout changé.

« Zelensky s’est avéré être un vrai patriote, un battant, un chef », relève Volodymyr Fessenko.

A l’heure où l’hiver s’abat sur l’Ukraine en même temps que les missiles russes détruisant les installations énergétiques du pays, il va devoir préserver la résilience des siens et la détermination de ses alliés.

« Il doit entretenir la volonté de la société de résister et (…) le soutien de l’Occident », note M. Fessenko, car « la lassitude de la guerre est un vrai défi ».

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