Tout Gainsbourg en deux histoires

Serge Gainsbourg nous a quittés il y a tout juste trente ans. Il avait 62 ans. © Isopix/Visual/Starface

Pour rendre hommage à l’artiste disparu à 62 ans le 2 mars 1991, France 3 programme une soirée spéciale ce vendredi dès 21h05. Et pour Télépro, Brice Depasse revient sur deux histoires méconnues et pourtant si éclairante sur ce personnage hors norme.

«Un jour, Gainsbourg vendra des millions de disques !» Cette phrase, on la doit à Eddie Barclay qui, au milieu des années 1960, est probablement le seul à croire dans le potentiel de cet artiste qui semble être condamné à une vie d’auteur, mais pas d’interprète.

Pourtant, Serge Gainsbourg refuse la très intéressante proposition de Barclay : il reconduit son contrat avec Philips qui le soutient depuis des années. Les vingt mille albums que vend Serge Gainsbourg à côté des huit cent mille de Johnny, ça fait une sacrée différence. Aussi va-t-il, en cette année 1966, arrêter de railler ces Yéyés qui tiennent le haut du pavé depuis quatre ans.

Sa présence dans le poster du numéro anniversaire de Salut les Copains (qu’on surnommera plus tard «La photo du siècle») n’est donc pas innocente. Affiché dans des milliers de chambres d’ados, Gainsbourg entre dans la danse de la musique jeune. On le voit d’ailleurs dans ce numéro se présenter comme sans religion et apolitique, buveur de bourbon Ginger Ale et collectionneur de cannes dandy ouvragées, mais aussi de filles en chair et en os.

Clairement, il faut s’attendre à de grands changements dans sa musique quand il en aura fini avec le cinéma car en 1966, Gainsbourg n’arrête pas de tourner. Pas des films qui resteront dans l’histoire, mais son style de jeu particulier rend ses apparitions à l’écran agréables à regarder.

La cigarette colombienne

Ainsi en août, est-il au casting d’«Estouffade à la Caraïbe», un polar nanar où il donne pourtant la réplique à Jean Seberg, l’inoubliable interprète d’«À bout de souffle». Le dernier soir des six semaines de tournage en Colombie, Gainsbourg dîne dans un restaurant où, après avoir allumé une cigarette, il jette son allumette distraitement par-dessus l’épaule. Celle-ci atterrissant dans une décoration de plantes séchées met le feu à l’établissement en quelques secondes. Sorti en courant avec le personnel et la clientèle, il regarde flamber l’établissement non sans dire «C’est moi qui ai fait ça ?».

Pas fier et inquiet de ce qui pourrait lui arriver en ces contrées lointaines, Gainsbourg passe sa dernière nuit latino-américaine non pas à son hôtel, mais chez une prostituée. Malheureusement pour lui, lorsqu’il vient prendre sa valise avant de filer à l’aéroport, des policiers l’attendent et l’emmènent au poste. Le producteur du film flairant la catastrophe, lui envoie un avocat genre «Bourbon & costume blanc», comme on n’en voit que dans les films noirs américains des années 1940. – Un conseil : niez tout en bloc. Ce n’est pas vous qui avez jeté l’allumette puisque vous n’avez pas fumé.

Serge Gainsbourg ment bien, tout en souffrant le martyr durant ses treize heures d’interrogatoires de voir les policiers aligner cigarette sur cigarette. Finalement, la production du film paie les dégâts. Gainsbourg est libre. Au moment de quitter le bureau de police, un officier lui tend son paquet de cigarettes dont Serge en tire une sans hésiter. – Vous voyez que vous fumez ! Et Gainsbourg de répondre : – J’ai dit que je n’avais pas fumé, mais je n’ai jamais dit que je ne fumais pas…

La naissance de Charlotte

21 juillet 1971, Serge Gainsbourg fait la fête en même temps que les Belges, mais pas pour les mêmes raisons : il est papa. Tout s’est bien passé pour la maman et le bébé. Pour le reste, c’est déjà du Gainsbarre, vous allez voir. Comme les hommes ne peuvent alors pas assister à l’accouchement, Serge a pris ses quartiers dans un pub en face de la clinique londonienne où Jane va donner le jour à la petite Charlotte.

Occupé à prendre une bonne cuite en compagnie du frère de Jane, il vient régulièrement aux nouvelles en écoutant à travers la porte de sa chambre avec un stéthoscope réquisitionné. L’arrivée du parrain, Yul Brynner, n’arrange rien à la fête. Et qui hurle, désespéré et bourré, à la réception du Middlesex Hospital à deux heures du matin où Charlotte a été envoyée car elle fait une jaunisse ? Serge Gainsbourg, qui est inquiet car il a lu un article dans un journal selon lequel un maniaque s’en prendrait aux bébés dans les hôpitaux. – I want to see my daughter, hurle-t-il («Je veux voir ma fille»)

Heureusement pour lui, Charlotte est déjà inscrite sous son nom, la naissance n’ayant pas encore été déclarée. Rassuré après l’avoir vue, il ne reste plus pour Serge qu’à rentrer dans le petit appartement de Jane à Chelsea. Mais voilà, nous sommes en 1971, il n’y a à cette heure ni bus ni taxi. Pas grave, Serge rentre à pied. Deux heures de marche, sous la pluie, ce n’est pas gagné, mais c’est assurément la plus belle promenade de sa vie qu’il trouve en cet instant drôlement belle. 

Brice Depasse

À lire : Brice Depasse, «La Story. Tome 2», 450 pages, 26 € (Renaissance du livre)

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 18/2/2021

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