Remake or not remake ?

Bradley Cooper et Lady Gaga dans le remake d'«A Star Is Born» © ISOPIX

Remake or not remake ? Les puristes s’y opposent, les curieux sont demandeurs et les jeunes générations les accueillent plutôt bien. Faut-il revoir les copies (cinématographiques) ?

«Une étoile est née» («A Star Is Born»), mais pourrait-elle perdre de son éclat si scénaristes, réalisateurs ou acteurs la briquent et la briguent trop souvent ? La réponse est non en regard du film susnommé dont la quatrième version, celle de 2018, auréolée du charisme du duo Bradley Cooper-Lady Gaga, est diffusée, ce lundi 14 décembre sur la Une. Tous les «reboots» ne recueillent cependant pas autant de récompenses et d’éloges…

Pas touche au mythe

Il est des bijoux auxquels personne ne devrait toucher, telle la rose que Belle, dans «La Belle et la Bête», cueille chez son hôte féroce. En 1946, Jean Cocteau adapte la version de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1711-1780). Les moyens d’après-guerre étant limités, il tourne en noir et blanc mais donne au conte une atmosphère prenante avec de simples effets de fumées et miroirs, et des chandeliers tenus par des bras humains vivants. Cet onirisme appelle d’autres cinéastes à créer leur version. Walt Disney y songe mais reconnaît «avoir peur de toucher à tant de magie». En 1992, bien après sa mort, ses studios sortent une adaptation animée, moins effrayante et pleine de charme. Parmi la dizaine d’autres remakes, y compris à la télé (dont une série), seuls deux émergent.

Pluie de critiques

L’un, en 2014, signé Christophe Gans, avec Vincent Cassel et Léa Seydoux, rate le coche. Trop de grandiloquence : c’est une injure à la poésie de Cocteau. Les critiques pleuvent : «défilé d’imagerie où la laideur rococo numérique le dispute au consternant travail de lissage» (Cahiers du Cinéma), «crétinisation culturelle» (Grand Écran), «C’est contre l’avertissement initial de Cocteau que s’inscrit Gans, contre cet effort de croyance réclamée au spectateur, que s’oppose un conte sans énigmes ni secrets.» Seul Bill Condon sauve les meubles, en 2017, avec une production «disneyenne», mais comme le vieux Walt, s’avoue intimidé. Heureusement, le charme de son actrice, Emma Watson, opère.

Émancipation

Watson et Condon dessinent une rebelle, ni soumise à ses sœurs ni à son père, preuve que les remakes suivent l’évolution des mœurs et du féminisme. On retrouve cette posture dans les variations de «A Star Is Born». Après celles de 1937 et de 1954 (avec Judy Garland), Barbra Streisand produit un opus rock et libéré, en 1976. Les hippies débridés, le regard translucide du sexy Kris Kristofferson et la voix d’or de la diva conquièrent le public. Quand Bradley Cooper, aidé de Lady Gaga, s’attaque à son tour au monument, en 2018, le résultat est à la hauteur. Notamment grâce à l’épilogue : le pygmalion se drogue, non plus par jalousie envers sa protégée qui a réussi là où il a échoué, mais pour des traumas plus profonds.

Du caractère !

Un autre beau récit revalorise les femmes : «Les Quatre filles du docteur March» («Little Women»). Le roman de Louisa May Alcott est proposé six fois en salles (1917, 1918, 1933, 1949, 1994, 2019), sans compter la télé (minisérie très réussie de 1978 avec Susan Dey, Robert Young et William Shatner). Chaque variante emploie des stars de caractère : Katharine Hepburn (1933), puis Winona Ryder (1994) campent Jo, la plus frondeuse de la sororité !

Le volet avec Ryder est, à ce jour, considéré comme le meilleur. Quant au «reboot» de 2019, qui trahit la chronologie du livre et égare les profanes, il impose un bel argument : la fameuse Jo, cette fois, ne se marie pas. La réalisatrice Greta Gerwig déclare : «Je voulais donner à Louisa May Alcott une fin qu’elle aurait peut-être appréciée !»

Beautés intemporelles

Il y a toutefois des héroïnes romantiques qui brillent davantage lorsqu’elles restent des beautés intemporelles rêvant du prince charmant. L’exemple de «Sabrina» (1954), signé Billy Wilder, avec l’iconique Audrey Hepburn, est parlant. Lorsque le grand Sydney Pollack ose revoir la trame en 1996, c’est un sacrilège ! Malgré un Harrison Ford, aussi énigmatique qu’Humphrey Bogart avant lui, Julia Ormond, elle, n’arrive pas à la gracile cheville d’Hepburn. La protagoniste est trop urbaine, trop actuelle et ternit le côté «princesse» du rôle-titre. Ce flop démontre le danger de négliger un certain lyrisme immortel.

Pas de fioritures, merci !

Sans doute est-ce aussi une question de couleurs ! Comme l’illustrent «Sabrina» et «La Belle et la Bête», diamants en noir et blanc : avec la quadrichromie, s’évanouissent éclat et poésie. Déjà dans les années 1930 et 40 – où le Technicolor émergeait, la bichromie était un choix esthétique. La manière dont la lumière crée une dimension éthérée s’avère incontournable pour bien des chefs-d’œuvre, y compris des longs métrages plus récents. La noirceur de films à suspense doit elle aussi sa force dramatique à ce traitement stylistique. Ainsi, l’excellentissime «Douze hommes en colère» (1957, avec Henry Fonda) perd-il beaucoup de plumes et de musc, en 1997, en prenant des couleurs…

Était-ce bien nécessaire ?

Repeints ou non, des monuments cinématographiques ont souffert d’une mise à jour. Leurs «descendants» devraient rougir de honte. Le «reboot» 2005 de «Devine qui vient dîner» transforme un délicat propos en pantalonnade. Alors que l’œuvre initiale (1967) de Stanley Kramer aborde les préjugés racistes (une jeune Blanche annonce à ses parents – Spencer Tracy et Katharine Hepburn – qu’elle épouse un médecin noir, campé par Sidney Poitier), son remake inverse les rôles (un homme blanc aime une fille noire), mais ses clichés le rétament. On n’actualise pas sans un minimum de doigté ! Même déception pour «Fame», opus 2009. Il lisse les aspérités qui ont fait le sel du premier, celui d’Alan Parker en 1980 : audace, réalisme, espoirs déçus et dureté du monde artistique. On n’échange pas un cake épicé contre un caramel à l’aspartame. Foi(e) de cinéphile !

Liftings efficaces

Étonnamment, certains scénarios sont, eux, devenus plus puissants, après remaniement. «Superman» (1978) devenu «Man of Steel» (l’homme d’acier) en 2013, livre une vision plus sérieuse du concept du sauveur débarquant sur Terre. Le bon accueil du surhomme n’est ni unanime ni naïf : l’époque plus cynique génère d’abord peur et suspicion. Ce n’est qu’après le départ du héros que le monde apprendra vraiment à l’apprécier. Quant à «L’Inconnu de Las Vegas» («Ocean’s Eleven» en VO.), il offre un terrain de jeu à suspense, en 1960, au très viril Rat Pack (bande regroupant entre autres Frank Sinatra, Sammy Davis Jr et Dean Martin). Sa fin est inattendue et astucieuse, mais son déroulé est lent et long. Retravaillée par un Steven Soderbergh inspiré en 2001, l’aventure bénéficie de stars (George Clooney, Brad Pitt, Julia Roberts) et utilise les techniques dernier cri en époustouflant le public jusqu’au bout. N’est-ce pas là, le but ultime ?

Pourquoi tant de remakes ?

Selon l’étude «Remake my Day» de Verve Search, comparant les notes et les bénéfices des remakes récents, les résultats ne sont guère probants : 91 % ont obtenu un score plus bas auprès du public que les originaux, seulement 21 % ayant été plus rentables. Aussi, pourquoi les studios persistent-ils ? Les reboots génèrent, malgré tout, des bénéfices intéressants, tel «Aladdin» (2019) avec Will Smith, et ses 900 millions $ de recettes mondiales. Même si les nostalgiques préfèrent l’original, ils ne peuvent pas s’empêcher d’aller voir le remake !

Films français made in USA : une flopée de flops !

La seule recette qui ne fonctionne jamais est celle des remakes américains d’œuvres françaises. «Nous irons tous au paradis» (1977), mythique comédie de potes, devient une bluette, «The Woman in Red» (1984) dont seule la bande originale de Stevie Wonder, «I Just Called to Say I Love You» fut un succès. Le rythme soutenu de «Trois hommes et un couffin» (1985) fait passer «Three Men and a Baby» (1987) pour une petite berceuse. «Les Diaboliques» du très fin Henri-Georges Clouzot (1955) se mue en fade farce, malgré le face-à-face Sharon Stone-Isabelle Adjani (1996). Et n’évoquons pas les remakes des «Visiteurs» («Les Visiteurs en Amérique»), du «Dîner de cons» («The Dinner») ou d’ «Intouchables» («The Upside»). À défaut de pouvoir en rire, on risquerait d’en pleurer.

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 10/12/2020

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