Regardez-les dans les yeux !

Cara Delevingue et ses sourcils expressifs ! © Isopix

Pupilles et iris jouent un rôle déterminant dans l’expression des émotions. Surtout lorsqu’une caméra les filme en gros plan. Les yeux des artistes sont parmi leurs outils dramatiques les plus puissants. Aussi, ouvrez grand les vôtres !

À l’écran, un seul coup d’œil suffit souvent pour dire quelque chose d’important sur l’histoire, les personnages. Et ceux qui les interprètent. Cette magie est née dès les débuts du 7e art avec les films muets, dans lesquels les yeux des acteurs étaient mis en exergue par un abondant maquillage. L’américaine Clara Bow, première actrice à être oscarisée en 1927, bouleversa le public grâce à ses mirettes hautement expressives. Le directeur de la Paramount, Adolph Zukor, la décrivait en ces termes : «Une partie d’elle était toujours en mouvement, ses grands yeux roulaient. C’était un magnétisme élémentaire, une vitalité animale qui faisait d’elle le centre d’attraction !» Aujourd’hui encore, certains regards marquent les esprits. Et les cœurs.

Jeter un sort

Selon les scientifiques qui étudient le cerveau, le contact visuel favorise la création de liens. Et lorsqu’il y a un échange non verbal, on fait d’autant plus d’efforts pour définir ses sentiments. Pas étonnant que le public ait régulièrement des frissons pour un regard projeté sur grand écran et l’artiste capable de le lui jeter tel un sort. Le mystère des yeux peut tout faire passer : l’amour brûlant entre Faye Dunaway et Steve McQueen alors qu’ils se toisent en jouant aux… échecs («L’Affaire Thomas Crown»), l’effroi de Janet Leigh face à un tueur que l’on aperçoit à peine («Psychose»), la peur du condamné mené à la guillotine dans les yeux azur d’Alain Delon («Deux hommes dans la ville»), la douceur ou la tristesse sous la pluie du regard de faon d’Audrey Hepburn («Ariane» et «Diamants sur canapé»), l’intelligence perverse d’un Anthony Hopkins muselé («Le Silence des agneaux») ou la cruauté des mythiques œillades de Bette Davis («Qu’est-il arrivé à Baby Jane?»).

Tendres larmes

Tout fan ou cinéphile a ses favoris. Un certain Johnny Depp aurait gagné par K.O. grâce à son ami et réalisateur-fétiche Tim Burton. Ce dernier, admirateur du cinéma expressionniste allemand des années 1920, s’est inspiré de ce style et a mis en exergue les yeux ténébreux de l’acteur dans «Ed Wood», «Sweeney Todd: le diabolique barbier de Fleet Street» et surtout «Edward aux mains d’argent» où le héros communique sa tendresse grâce à ses mélancoliques prunelles noires. L’amour passe aussi par des yeux embués, comme celui, inoubliable et romantique, de la belle Demi Moore, alias Molly dans «Ghost», de Jerry Zucker, avec ses l a r m e s s i esthétiques. D’autres cinéastes utilisent des allégories, à l’instar de Baz Luhrmann qui saisit les échanges entre Leonardo DiCaprio et Claire Danes, alias «Romeo + Juliette», à travers un aquarium aussi étincelant que «l’humeur aqueuse» d’un œil, élément constitué de 99% d’eau…

Le coup du sourcil

Les films d’action jouent, eux, sur le mouvement des sourcils qui renforce la puissance des pupilles. C’est particulièrement vrai, séduisant ou impressionnant chez les acteurs. Demandez donc aux groupies de plusieurs James Bond – Sean Connery, Roger Moore et Pierce Brosnan en ont appris le maniement aussi bien que celui du revolver! Il leur suffit de lever un sourcil pour que ces dames frôlent la pâmoison. Les deux derniers ont même mis très tôt leur effet au point: ils jouaient déjà du sourcil, respectivement dans les séries «Le Saint» et «Les Enquêtes de Remington Steele». En France, Jean Dujardin sait aussi y faire. Son atout est multiusage: charmer façon «The Artist», faire rire «à la Brice de Nice» ou signifier la gravité comme dans «La French» ou «Novembre».

Tactique du gendarme

Froncer un ou deux sourcils tout en jouant du regard est l’apanage d’un chef. Grand. Ou petit. Pour incarner ce dernier, Louis de Funès en a fait tout un art dans la saga du Gendarme en exigeant de ses subordonnés qu’ils fixent ses yeux ! Mais quand il s’agit de diriger un univers prestigieux, Fufu sait être chef d’orchestre à l’opéra («La Grande vadrouille»). À l’instar de Leonard Bernstein dont l’exemple, rare et véridique, vaut le coup d’œil (disponible sur YouTube). En 1983, épuisé après un concert viennois, il pose sa baguette et dirige les musiciens avec ses yeux ! Le spécialiste Philippe Meyer, de France Culture, ne s’en est pas encore remis : «Bernstein dirige avec un mouvement de sourcils pour le départ des violons, un battement de paupière, (…) un hochement de menton pour assurer le tempo avec, dans les yeux, une malice enfantine.» Pour Meyer, pareil regard est la force de «quelqu’un dont l’autorité ne vient ni de la baguette, ni de son titre (…) mais de la confiance qu’il accorde et qu’il confère, (…) et du plaisir qu’il cherche à partager!»

Trucages admis

Les seuls cas où la technique vient donner un coup de pouce aux coups d’œil sont du domaine de la science-fiction ou du thriller. Robert Pattinson en vampire («Twilight»), Hulk qui voit vert, les enfants capricieux et dangereux du mythique «Village des damnés» peuvent la remercier. Darren Aronofsky s’en est servi pour transformer une histoire classique en un récit quasi horrifique et donner à la jolie Natalie Portman «des yeux revolvers». Héroïne de «Black Swan», l’actrice a même reçu un Oscar pour avoir su incarner une personnalité double: Odette, le cygne blanc à l’œil candide, et Odile, le cygne noir aux iris vengeurs.

Sublimes défauts

Le très léger strabisme de Natalie Portman ou celui, un peu plus prononcé de Demi Moore ou de Bradley Cooper, fait partie des défauts qui subliment les yeux du 7e art. Les sourcils – encore eux ! – également. Emilia Clarke a longtemps été complexée par les siens. «Je les trouvais profondément exaspérants», a dit l’héroïne de «Game of Thrones» et «Last Christmas» à Vanity Fair. Et d’ajouter dans Business Insider: «Ils sont si expressifs qu’on m’a suggéré d’engager un coach afin d’apprendre à les contrôler au maximum!» L’actrice a préféré en rire, se livrant à un concours de grimaces avec Cara Delevingne, une homologue ayant le même «problème», sur le plateau du Graham Norton Show en 2015.

Et dire qu’Emilia a failli raser ses sourcils lorsqu’elle était adolescente ! «C’est ma mère qui m’en a empêchée», raconte-t-elle. «Aujourd’hui, je la remercie». Le public aussi.

Les «yeux» du «Cinéma de minuit»

Pour preuve de l’impact du regard des actrices et des acteurs de légende, le générique des «Yeux du cinéma», composé par Francis Lai en 1976, interprété au violoncelle et à la guitare, et intitulé «Les Étoiles du cinéma», laisse un souvenir impérissable ! Diffusé à l’époque avant un film sur FR3, on y reconnaît, entre autres, les yeux de : Marlon Brando, Marlène Dietrich, Paul Newman, Elizabeth Taylor, Bourvil et Michèle Morgan. Plusieurs versions à (re)voir sur youtube.com ou www.ina.fr.

Cet article est paru dans le Télépro du 8/12/2022.

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