Murdoch : l’habile renard ruse encore
Comment manipuler médias, public et politiques ? Le magnat australien, de 89 ans, a établi une stratégie jugée exemplaire par certains. Fort risquée par d’autres… Portrait ce mardi sur Arte.
À la tête d’une fortune de 18 milliards de dollars, Rupert Murdoch est le big boss de la News Corp., une des sociétés les plus importantes du monde regroupant chaînes de télé par câble et satellite, maisons de production, d’édition, magazines et journaux implantés en Australie, aux USA, aux îles Fidji, en Asie, au Royaume-Uni et en Europe. Parmi ces grands médias : le Wall Street Journal, le New York Post, le Times, Fox News, Fox Sports… et la célèbre maison d’édition américaine Harper Collins.
Cette puissance quasi outrancière, mâtinée de collusions pas toujours honnêtes, suscite les critiques. L’intéressé les balaye d’un revers de main. Encore aujourd’hui, alors que la modernité, les crises financière, sanitaire, professionnelle et privée font vaciller son empire…
Un jeu à 4 atouts
Selon Alastair Campbell, analyste en communication, le talent du «mammouth des médias», repose sur quatre forces.
- Sa chance. Elle lui a donné des ailes et a souvent coupé celles des concurrents.
- Sa volonté inébranlable de gagner.
- Sa connaissance pyramidale du terrain. Rupert a débuté comme journaliste dans une gazette locale.
- Sa «malchance» d’être attaqué. Ce critère lui confère un visage humain aux yeux du public : celui d’un être avec ses qualités et défauts, se battant pour ses rêves, malgré les noirs desseins de ses détracteurs…
Sur un Monopoly des médias, le Golden Papy posséderait les meilleures cartes. Parmi ses partenaires de jeu, ayant toutes les raisons de trembler, s’attableraient ses homologues de la presse et nombre de politiciens.
Vieil opportuniste
Proclamé citoyen américain en 1985 pour sa réussite dans le news business US, le risque-tout a vite été courtisé par les politiques, espérant s’assurer les «good news» dans ses supports d’info. Car avec ses lobbyistes, télés et journaux, le milliardaire peut faire ou défaire un destin. Mais il est aussi «généreux» et participe aux campagnes électorales à coups d’abondantes contributions, donnant autant aux républicains qu’aux démocrates.
Champion du retournement de veste, Murdoch a autant encouragé Hillary Clinton qu’un certain Trump. Malgré des désaccords, ce cher Rupert l’a soutenu jusqu’à la Maison Blanche en utilisant, entre autres, son réseau de télé Fox pour unir les électeurs sous sa bannière. Le vieux renard n’a jamais eu de scrupules à chambouler le paysage. «J’ai toujours été un déclencheur de changements», ricane-t-il. «Les bouleversements effrayent les gens préférant s’installer dans une routine confortable. Mais soudain, j’arrive et je dis : « J’aime le risque, je peux faire pareil en mieux ! ».»
Un renard chez Disney
Son grand âge ne l’aveugle pas. Le magnat a aussi vu venir le Net :«L’événement le plus révolutionnaire auquel j’ai assisté dans ma vie. Avec mon expérience, je sais observer les préférences des gens en matière d’info ou de divertissement.» Le vieux briscard n’a pourtant pas tout pressenti. Parmi les impondérables, la chute financière a malmené son château de cartes, la crise sanitaire a déstabilisé ses médias et le facteur humain a divisé ses héritiers. Son empire a partiellement été démantelé en 2018 : il a décidé de vendre à… Disney une partie de sa 21st Century Fox (studios, chaînes de télé et 39 % du bouquet satellite Sky).
Immortel
Rupert le pragmatique sait qu’il devra un jour céder le flambeau à l’un de ses deux fils (Lachlan, 49 ans, ou James, 48). Mais là encore, il ne fléchit pas face aux vents contraires. Il a eu ce qu’il voulait : laisser une trace. Voici vingt ans, après avoir vaincu un cancer de la prostate, le survivant déclarait déjà : «Je suis maintenant convaincu de ma propre immortalité»…
Cet article est paru dans le Télépro du 11/02/2021.
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