Mort de Jean-Luc Godard, le dynamiteur du cinéma
Agitateur de la Nouvelle Vague, il a dynamité les codes du cinéma avec des films résolument novateurs, d’ »A bout de souffle » à « Sauve qui peut (la vie) »: le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard est décédé mardi à l’âge de 91 ans, emportant avec lui un pan de l’histoire du 7e art.
« Ce fut comme une apparition dans le cinéma français. Puis il en devint un maître (…). Nous perdons un trésor national, un regard de génie », a réagi le président Macron, parmi la pluie d’hommages rendus à ce monument du cinéma.
Perpétuel révolté, « JLG » comme on le surnommait vivait depuis des années à Rolle, au bord du lac Léman, fuyant le monde du 7e art.
Dans cet endroit paisible, les quelques piétons se promenant près de sa maison ne semblaient pas au courant de son décès mardi, selon une journaliste de l’AFP sur place. Sa compagne de longue date, la réalisatrice Anne-Marie Miéville, habite à quelques encablures.
« Jean-Luc Godard est décédé paisiblement à son domicile entouré de ses proches. Il sera incinéré », a-t-elle annoncé dans un communiqué. « Aucune cérémonie officielle n’aura lieu », précise-t-elle, pour celui qui fuyait les honneurs.
« JLG » restera comme l’un des réalisateurs les plus influents des deux côtés de l’Atlantique. Un génial provocateur qui a révolutionné le cinéma pour ses inconditionnels, un intello torturé aux films incompréhensibles pour ses détracteurs.
Avec sa mort, un chapitre de l’histoire du cinéma se clôt, aux plans inoubliables: Bardot nue sur un lit, susurrant « Tu les aimes mes fesses ? » (« Le Mépris »), Belmondo le visage barbouillé de bleu, bardé de dynamite (« Pierrot le Fou »), Jean Seberg et son New York Herald Tribune vendu à la criée sur les Champs-Elysées (« A Bout de souffle »)…
Créateur d’étoiles
« Et Godard créa le Mépris et c’est à bout de souffle qu’il a rejoint le firmament des derniers grands créateurs d’étoiles… », a réagi Brigitte Bardot sur Twitter, avec une photo d’elle, enlaçant le cinéaste.
C’est par ce dernier film que Godard, critique aux Cahiers du cinéma né à Paris le 3 décembre 1930, s’est fait connaître. Le premier long-métrage de celui qui sera plus tard étudié dans les écoles de cinéma lance aussi la carrière de Jean-Paul Belmondo.
Godard, qui entend tourner le dos au vieux cinéma hexagonal d’après-guerre qu’il déteste, restera comme le chef de file des réalisateurs de la Nouvelle Vague avec François Truffaut.
« Godard est le plus grand cinéaste du monde », n’hésitait pas à dire ce dernier. Il « n’est pas le seul à filmer comme il respire, mais c’est lui qui respire le mieux ».
Pour beaucoup de cinéastes, par sa liberté, son affranchissement des formes, Godard aura une influence majeure, à l’instar de l’Américain Quentin Tarantino, qui a baptisé sa maison de production « Bande à Part », le titre d’un film de Godard sorti en 1964.
Mais jusqu’à sa mort, « JLG », dont les films et déclarations se feront de plus en plus indéchiffrables avec les années, n’a jamais cherché à faire l’unanimité, bien au contraire. Et certains jugeant son oeuvre plus hermétique et pédante que profonde, plus ennuyeuse qu’énigmatique.
Car l’artiste au regard caché par des lunettes noires, cigare aux lèvres, ne tourne pas comme les autres, ne monte pas comme les autres et entretient un rapport particulier avec les acteurs et les actrices qu’il ne ménage pas.
Engagement pro-palestinien
Provocateur né, Godard était aussi une figure importante mais inclassable pour la gauche. « L’Helvète anarchiste », selon les termes des organisateurs du Festival de Cannes qu’il contribue à faire annuler en mai 1968, était à la même époque « le plus con des Suisses pro-Chinois » pour les situationnistes.
Il se lance à cette période dans un cinéma militant avec des films-tracts de 3 minutes, renie sa production passée. Voulant « faire politiquement du cinéma politique », il abandonne la notion d’auteur.
Par la suite, le réalisateur à l’engagement pro-palestinien, parfois accusé d’antisémitisme, réalisera avec sa dernière compagne Anne-Marie Miéville, « Ici et Ailleurs », un film dans lequel il compare les Juifs aux nazis, qui fait scandale.
Il fâchera aussi le pape Jean-Paul II avec « Je vous salue, Marie » et sa Vierge nue à l’écran.
En 2018, le Festival de Cannes lui délivrait une Palme d’or « spéciale » pour « Le Livre d’image », un prix qu’il n’était bien entendu par venu chercher, pas plus que son prix du Jury en 2014 pour « Adieu au langage ».
Célèbre pour ses aphorismes et bons mots, l’homme-cinéma avait de son vivant suggéré son épitaphe: « Jean-Luc Godard, au contraire ».
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