Mohamed Ali : droits et coups droits

Champion du monde adulé, le boxeur américain était aussi célèbre pour son engagement politique contre le racisme © Arte

Ces mardi et mercredi à 20h50 sur Arte, un documentaire revient sur le destin du plus célèbre boxeur de tous les temps, un Afro-américain musulman, né Cassius Clay en 1942, devenu symbole mondial de liberté et de courage.

Les réalisateurs – Ken et Sarah Burns, David McMahon – ont mis des années à coréaliser cette riche biographie de Cassius Clay (1942-2016), à partir d’archives publiques et privées et de dizaines de témoignages. Ils évoquent quelques facettes de ce sportif engagé en faveur de la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains, converti à l’islam, abandonnant son patronyme, «un nom d’esclave», pour devenir Mohamed Ali, ne ratant aucune occasion de fustiger le racisme de l’Amérique blanche.

Mohamed Ali aimait être le centre de l’attention…

Sarah Burns : Cet homme constamment sous les objectifs, que nous avons regardé vivre au fil des plus de 500 heures d’archives vidéo et 15.000 photos rassemblées pour la série, est-il l’authentique Mohamed Ali, ou l’image qu’il souhaitait donner ? Nous avons compris peu à peu que la représentation, le jeu, font intrinsèquement partie de lui. C’est un showman né. On le voit quand il fait l’acteur, enfant. Il a toujours voulu se trouver au centre de l’attention et cela a modelé une grande part de ses choix.

Surnommé The Greatest, Mohamed Ali devient le premier triple champion du monde poids lourds. Il a participé à plusieurs combats de boxe historiques… Il était apprécié, non ?

K. B. : Nous rappelons aussi combien il a été haï à une certaine époque. Une grande part de l’Amérique blanche a jugé intolérable sa célébration de l’identité noire, son refus de partir au Viêtnam, et même sa capacité à mettre les médias de son côté. Il ne s’est jamais conformé, même à ses débuts, à la soumission alors attendue d’un athlète noir. Quand Mohamed Ali proclame tranquillement son indépendance et son droit absolu à faire ses propres choix, c’est pour lui-même, bien sûr, et en même temps pour tous les autres : c’est l’une des clés de sa personnalité. Dans les années 1960, cette liberté constitue en soi une provocation. Elle a fait de lui l’un des catalyseurs d’un combat qui constitue l’un des principaux moteurs de l’histoire américaine : celui des Afro-Américains pour obtenir la liberté qui leur était déniée, et qui, dans une certaine mesure, l’est toujours, dans un pays qui place pourtant cette liberté au-dessus de tout.

C’était un homme généreux, altruiste…

K. B. : Il s’est montré parfois irréfléchi et cruel, comme envers Joe Frazier, ce qu’il a regretté par la suite. Mais en racontant ce qu’on peut appeler son voyage spirituel, nous avons été confrontés à des questions existentielles auxquelles on préfère souvent éviter de répondre : qu’est-ce que le courage, la liberté ? Pourquoi met-on sa vie en jeu ?

S. B. : J’ai découvert son aptitude à toucher autrui et à se laisser toucher en retour. Son côté fanfaron, cette façon de clamer toujours qu’il est le meilleur, le plus beau, avec ce que cela implique de narcissisme, ont pu éclipser la générosité hors du commun avec laquelle il se donnait aux autres. Spontanément, il se dépouille un jour de son manteau neuf, une autre fois de tout l’argent qu’il a en poche, parce que quelqu’un en a besoin. Surtout, il savait voir les gens et les aimer, et ils le lui ont rendu dans le monde entier. 

Entretien : Laura Jung

Cet article est paru dans le Télépro du 6/1/2022

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