Marlon Brando : icône écorchée vive

Celui dont le sex-appeal faisait vibrer la jeunesse des fifties finira en patriarche obèse et inconsolable (1924-2004) © Getty Images

Lundi à 22h55 avec le documentaire «Marlon Brando, un acteur nommé désir», Arte célèbre le centenaire de la naissance et le vingtième anniversaire de la mort d’un génie maudit. Mais dont le talent inspire encore les acteurs en herbe.

C’est par hasard que la planète cinéma a pu découvrir ce monstre sacré, quand il a poussé nonchalamment la porte d’une école de théâtre à l’orée des années 1950. Arrivé à New York à 19 ans, loin de son Nebraska natal, ce garçon dyslexique, solitaire et dont le goût du mystère séduit déjà, se forme avec l’éminente Stella Adler et la méthode Stanislavski, fondée sur la vérité des émotions. Des émotions, cet écorché vif en a à revendre et n’a qu’à piocher dans ses douloureux souvenirs pour les transcender en un jeu puissant, renforcé par son charisme naturel. Brando est en colère contre sa mère, certes aimée, mais alcoolique qui a noyé ses rêves d’actrice dans la bouteille, et contre un père violent qui ne l’a jamais encouragé. Aussi, quand le jeune comédien pleure ou hurle devant la caméra, les sentiments sont plus qu’authentiques.

Approcher la vérité

Sa mine boudeuse et son regard perçant contrastant avec des sourcils inquiets ensorcèlent à la fois la scène de Broadway et les studios alors en quête de nouveaux modèles pour la jeunesse révoltée des fifties. Lorsque, dans le rôle du dur au cœur tendre, Stanley Kowalsky, héros d’«Un tramway nommé désir» (1951), Brando brûle d’amour pour sa dulcinée en hurlant son prénom «Stellaaaa !» sous ses fenêtres, en singlet déchiré et imprégné de sueur, il fait tourner les têtes. Après pareille scène, les garçons rêvent d’avoir son sex-appeal brut et les filles, de tomber dans ses bras. Mais le colosse a des pieds d’argile. Malgré trois nominations aux Oscars dès ses premiers films, il n’apprécie guère le miroir aux alouettes de la gloire. Celui qui espérait utiliser le jeu pour s’évader, souhaitait aussi s’impliquer dans le cinéma «afin d’être au plus près de la vérité.» Mais il s’aperçoit que «les acteurs ne sont que des menteurs, contents d’avoir leur nom dans les journaux.» La droiture de Brando est ébranlée par sa starification et son image déformée dans la presse. «Si je dois me cogner la tête contre un mur pour rester fidèle à qui je suis, je le ferai !», clame-t-il. Pourtant, il ne plaque pas Hollywood : «Je reste ici car je n’ai pas le courage moral de refuser l’argent !»

Visionnaire vert

«Bankable» même quand son étoile pâlit durant les sixties, l’homme exige des salaires mirobolants. Tel le mythique Don Corleone, «Le Parrain», qui redore son blason au début des années 1970, il sait négocier et obtient 15 millions $ pour incarner, 15 minutes à l’écran, Jor-El, le père de «Superman» (1978) ! Mais Brando n’est pas une pince à fric. Engagé pour les droits civiques des Afro-Américains et des Amérindiens, plusieurs causes humanitaires et l’environnement, le héros de «L’Équipée sauvage» s’est payé un cocon utile : l’île Tetiaroa (27.000 m²) dans le Pacifique Sud. Là, en visionnaire écologique, il imagine pour sa propriété : l’installation de l’énergie solaire, la création d’habitats pour la faune ou encore la transformation des algues en compléments alimentaires. Son rêve couleur émeraude vire au cauchemar en 1990. L’un de ses quinze enfants (naturels et adoptés), Christian, tue l’amant de sa demi-sœur Cheyenne, alors enceinte, croyant que celui-ci la violente. Internée après le drame, Cheyenne se suicide. Marlon se mue en patriarche brisé, se laisser aller, devient obèse. Et décède d’une insuffisance respiratoire le 1 er juillet 2004. Ses amis pleurent un phénomène tout en célébrant d’heureux souvenirs : «C’était un acteur très professionnel, serviable, ponctuel. En tant que compagnon, il était un délice total, farceur, immensément amusant». Paul Newman rit de sa jalousie envers l’icône : «Je suis fâché contre Marlon car moi, je devais me casser le c… pour faire ce qu’il pouvait faire les yeux fermés ! C’était incompréhensible à quel point Brando était bon.» Et éternel.

Cet article est paru dans le Télépro du 28/3/2024

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