Marcel Carné : une vie en clair-obscur
Encensé à ses débuts, controversé durant l’après-guerre, puis méprisé par la Nouvelle Vague, le cinéaste (1906-1996) a créé et défendu un style devenu culte. Ce lundi à 22h30, Arte dresse son portrait avec le documentaire «Le Drôle de drame de Marcel Carné».
Aujourd’hui étudié dans les écoles de 7e art du monde entier, Marcel Carné s’est imposé, dès les années 1930, comme l’un des chefs de file de sa génération et du «réalisme poétique».
«Atmosphère, atmosphère !»
Le cinéaste (1906-1996) a inscrit au patrimoine des œuvres dont les titres restent gravés dans les esprits, même ceux des profanes : «Les Visiteurs du soir», «Drôle de drame» et les célèbres «Enfants du paradis». Tout comme les répliques : «Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ?» (Arletty, «Hôtel du Nord») ou «T’as d’beaux yeux, tu sais ! ?» (Jean Gabin à Michèle Morgan, «Quai des brumes»). Inspiré par une citation de Victor Hugo – «Ceux qui luttent sont ceux qui vivent» -, Carné en fit sa devise.
Amour et drame
Né en 1906 à Paris, qu’il mettra toujours en valeur, ce fils d’artisan ébéniste prend en cachette des cours de photo aux Arts et Métiers. Son but : réaliser des récits comme ceux qu’il va voir chaque jeudi, rusant souvent pour visionner des séances supplémentaires…
Le réalisateur débute dans l’atmosphère lourde d’une France au bord de la Seconde Guerre, avec des œuvres marquées par ce sentiment sombre et reflétant les événements sociaux d’alors. Ses mélodrames réunissent, sur pellicule noir et blanc, deux registres opposés : un regard désabusé sur la vie, mais exprimé dans un style poétique. Bien que ses héros luttent contre le sort dans des décors brumeux et finissent souvent mal, le tout est illuminé par l’amour.
Tournages clandestins
L’arrivée de la guerre ne freine pas la motivation de Carné désormais souvent considéré comme l’un des inventeurs du cinéma français. Il va faire preuve d’une opiniâtreté et d’une imprudence incroyables. Avec son ami et scénariste-dialoguiste attitré, Jacques Prévert, il crée, par le biais d’un conte de fées médiéval, une allégorie à peine voilée de la Résistance face à l’ennemi. En 1943, «Les Visiteurs du soir» suivent deux amants prêts à tout pour échapper au diable.
Un an plus tard, débutent les prises de vues des «Enfants du paradis». Les Allemands rôdent en plateau. Le chef décorateur et le compositeur de musique, tous deux juifs, travaillent dans l’ombre. Filmant les amours des artistes Garance (Arletty) et Baptiste (Jean-Louis Barrault), tels deux funambules de l’existence, l’histoire célèbre la liberté d’expression et l’indépendance. Carné s’arrangera d’ailleurs pour qu’elle sorte à la Libération !
Injuste mise au placard
Le long métrage est qualifié de chef-d’œuvre. Hélas, son auteur est trahi par les siens. Les jeunes critiques et cinéastes de la Nouvelle Vague estiment que son travail est trop méticuleux et stylisé. Leur aîné poursuit une carrière discrète, produisant tout de même des films forts, dont «Les Assassins de l’Ordre» (1971) avec Jacques Brel.
Encore taxé de collaborateur pour ses tournages durant les heures sombres, Carné répond : «Je les ai faits pour prouver que, bien que la France ait été conquise militairement, son esprit était toujours vivant !».
Et à l’adresse des générations peu friandes de son œuvre : «On m’a reproché le pessimisme mais je n’ai survécu qu’en ayant de l’espoir. Mes films sont dits sombres. C’est incorrect. Il y a au moins un moment de bonheur en chacun. Ils sont considérés comme des classiques. Ils doivent être vus de loin !»
Les lumières s’éteindront définitivement pour lui en 1996…
Cet article est paru dans le Télépro du 1/7/2021
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